Le thème de ce film original et délicat est inépuisable : la vie du
théâtre confrontée au théâtre de la vie. Ici les deux vies se regardent
l'une l'autre, parfois en souriant, parfois en riant et bien souvent en ayant la gorge
serrée.
Irène (Yolande Moreau) joue chaque soir un spectacle dans une salle différente du nord de la
France. Seule en scène, avec son masque en carton pâte comique et horrifiant, et son cabas
d'où dépasse un poireau, elle profère âprement : « Sale affaire,
j'ai trempé dans un crime... » Plongée dans une solitude consternante et
cocasse, le personnage d'Irène cherche « l'âme soeur » dans le public,
éventuellement avec une lampe de poche. Un spectateur devient donc chaque soir « son
poussin » censé lui faire connaître « les délices de l'amour ».
L'heureux élu doit monter sur scène, décontracté ou confus. C'est ce qui
arrive à Dries, au grand amusement de ses copains. Dries, avec sa bonne bouille de ch'ti sans
arrière pensée, ne s'attendait pas à celle-là ! Devenir pour un soir un
acteur et en plus se retrouver sur une photo polaroïd avec « la vedette ». Une personne pas
fière avec qui il va faire la causette et prendre un pot.
Pour un peu, Dries abandonnerait son boulot sur les marchés pour partir en tournée avec
Irène, entre Béthune et Valenciennes, entre canal, zones industrielles, dunes et champ de
houblon. Après tout, lui aussi est un artiste puisqu'il porte un « géant »
nommé Totor, une de ces grandes marionnettes qu'on sort pour certaines fêtes dans le Nord
comme la Saint Nicolas. Les fanfares, les gaufres, les frites, la bière et la franche rigolade y sont
de rigueur.
Irène était seule dans sa loge, seule dans sa chambre d'hôtel et seule sur les routes
avec sa valise et sa chaise pour le spectacle. Chaque soir elle téléphonait à son mari
pour dire d'une voix fatiguée « ça s'est bien passé » et elle
reportait à plus tard le choix de la couleur des carreaux pour la salle de bains. Fini la routine.
Dries s'attache à Irène, dont le coeur tangue. Va-t-on assister à une « Sale
affaire » ? Non, jolie rencontre, mélancolique, douce et drôle.
Le 8 novembre 2004
Samuel Holder
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