Depuis quelques années, Mohamed Moulessehoul, écrivain et par ailleurs
commandant dans l'armée algérienne, signait ses romans d'un pseudonyme féminin,
Yasmina Khadra. A l'occasion de la parution de ce livre, il a révélé son
identité. Il vit actuellement en exil.
Dès les premières pages, on est emporté par la qualité de l'écriture
et par la profondeur psychologique de ce récit autobiographique qui va des années qui ont suivi
la guerre d'Algérie jusqu'au milieu des années soixante-dix.
Un matin de 1964, son père quitte Oran pour l'emmener en voiture, lui le fils adoré,
âgé de six ans, à l'école des cadets d'El Mechouar. Il veut qu'il
devienne officier, comme lui. Le monde de l'enfance choyée est balayé à
l'instant où l'auteur franchit les portes de cette sinistre institution. L'auteur nous
entraîne dans cet itinéraire très intériorisé qui le conduit à
l'âge adulte, onze ans plus tard, avec des éclats de poésie et parfois
d'humour.
Il décrit la brutalité de la vie à l'école des cadets : le clairon au petit
matin, le matricule remplaçant le nom, la tonsure, les pieds gelés, la discipline infernale des
gradés plus ou moins sadiques, les nuits remplis par les cauchemars des orphelins qui ont connus les
horreurs de la guerre coloniale. Seuls l'amitié avec certains compagnons d'infortune et les
souvenirs qui jaillissent mettent un baume de fraîcheur dans le cœur de l'enfant et du
lecteur. L'imaginaire et la réflexion philosophique se mettent en marche car le futur
écrivain a vite « cessé d'attendre que les hautes murailles de la forteresse
s'effondrent pour lui restituer sa liberté ». Il pense à Oran, sa ville
d'origine, turbulente, inondée de lumière, son quartier tranquille avec « une
basse cour... la courette que gardaient deux citronniers enchevêtrés ; la treille se ramifiait
jusque dans la rue. En été d'imposantes grappes de muscat transformaient l'endroit en
mât de cocagne…les galopins et les passants n'avaient qu'à se hisser pour se
servir. »
L'enfant a non seulement perdu son paradis affectif mais son présent va se trouver
brutalisé à l'extrême par la polygamie de son père et ses conséquences.
Tout est exprimé en phrases rapides et avec délicatesse : les relations avec sa mère
répudiée, ses tantes, ses frères, ses cousins, son oncle plein de sagesse, ses anciens
copains dont certains auront un destin dramatique.
Lorsque sa mère, qui n'a encore que trente ans, et ses sept enfants sont mis au rebut, ils sont
contraints à habiter dans un garage désaffecté, au cœur du quartier le plus
misérable et le plus malfamé d'Oran. Le jeune cadet Mohamed est désormais
« chef de famille » quand il n'est pas derrière les murs de la caserne :
« Difficile de se croire la plus belle chose qui soit arrivée à quelqu'un
(le père !) quand d'un claquement de doigt on se retrouve relégué au rang
d'objet déclassé. »
L'enfant va réagir et puiser sa force dans la lecture et dans l'écriture. A
l'âge de dix ans, il découvre qu'il est né pour écrire. C'est
l'écriture qui le sauvera du désespoir, du suicide, de la médiocrité, de la
haine des autres et en particulier de son père.
Lorsqu'il quitte El Mechouar pour Koléa, une autre école militaire qui le conduira
jusqu'au baccalauréat, sa vocation d'écrivain se précise. A El Mechouar ses
premiers vers lui avaient ouvert la porte de « son » exil. A Koléa, grâce à
certains professeurs, il découvre les sommets de la bonne et de la grande littérature,
qu'elle soit française, arabe, américaine ou russe. Il écrit dans une revue
malgré le comité de censure, il monte une pièce de théâtre dont il est
l'auteur... Lui, le futur officier qui déteste la violence, écrit à propos de sa
vocation d'écrivain : « croire en quelque chose : c'est d'abord ne jamais y
renoncer. »
L'écrivain est devenu adulte, mais l'enfant ne l'a-t-il pas toujours été
face à la vie ?
Le 18 juillet 2002
Hélène Dujardin
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