« Austerlitz » est le quatrième et dernier roman d'un auteur qui est
mort dans un accident de la route en Angleterre en décembre 2001. Cet écrivain singulier se
situait à la fois dans la lignée de Proust et de Kafka. On peut entrevoir chez lui des
affinités avec Paul Auster et Georges Perec. Comme dans ses précédents livres, W.G.
Sebald établissait un dialogue magique et poignant entre son texte et ses photographies, dans un style
harmonieux et primesautier.
Le narrateur a rencontré par hasard Jacques Austerlitz pour la première fois en 1967 dans la
salle des pas perdus de la gare d'Anvers. Il était encore « presque jeune d'allure
avec ses cheveux blonds étrangement frisés.» Austerlitz, village de Moravie,
célèbre victoire napoléonienne et gare parisienne, est un nom bien étrange
à porter pour cet homme qui avait la même expression d'effroi sur le visage que le
philosophe Ludwig Wittgenstein.
Comme bien des solitaires qui ont perdu l'habitude de parler, Austerlitz engage très volontiers la
conversation avec des inconnus de passage. Sa vie, que découvre progressivement le narrateur, est en
grande partie une enquête sur lui-même et sur l'histoire contemporaine de l'Europe.
« Aussi loin que je puisse revenir en arrière, dit Austerlitz, j'ai toujours eu le
sentiment de ne pas avoir de place dans la réalité, de ne pas avoir d'existence
[...] » (page 221) . Quelle est la raison de cette impression d'inexistence au
monde ? L'écheveau est difficile à démêler. Pendant longtemps Austerlitz
n'a pas cherché à y voir clair dans ses origines et son identité, sans doute par
crainte.
Il sait qu'il a grandi dans le froid et le silence de la maison d'un prédicateur calviniste du
pays de Galles. Il a de vastes connaissances dans de nombreux domaines car très jeune, il s'est
réfugié et épanoui dans l'étude et la lecture. Il s'émerveille des
beautés des règnes animal et végétal qu'il observe avec acuité et
qu'il redécouvre toujours avec délectation à la lecture de Darwin. Il s'efforce
d'établir un lien vivant avec le passé dans toutes ses manifestations naturelles ou
culturelles. C'est ainsi qu'il est devenu un spécialiste de l'histoire des monuments
européens, bâtisses insolites, gares, forteresses, architectures suintant la barbarie, la
bureaucratie, l'écrasement du vivant. Il découvrira comment était
structuré le ghetto de Theresienstadt. Incidemment le lecteur apprendra avec amusement pour quelles
raisons Austerlitz déteste la nouvelle Bibliothèque nationale de Paris, dite Mitterrand.
Au travers du destin d'un homme sensible, Sebald nous fait visiter ce grand cabinet de curiosités
qu'était l'Europe au XXe siècle, un continent de vieille et parfois haute culture, mais
aussi le lieu d'entreprises terribles de déshumanisation.
Le 8 septembre 2003
Samuel Holder
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