Katanga Business

Film de Thierry Michel

2009, 120 minutes

Je vous conseille de voir, si vous le pouvez, ce long documentaire (environ 2 heures). A Paris il se donne toujours dans une salle du Quartier Latin grâce à un soutien de bouche à oreille. Je ne sais pas ce qu’il en est ailleurs dans l’hexagone. Ce film montre, dans toute leur nudité, les rapports entre le capital et le travail dans l’une des régions les plus riches de toute l’Afrique, tels qu’ils sont façonnés par la mondialisation du capital dans la configuration dont la Chine est maintenant un pivot et un agent actif.

Thierry Michel est un réalisateur belge. Il tourne des documentaires en République démocratique du Congo, mieux connu comme le Zaïre, c’est-à-dire dans l’ex-Congo belge, depuis bientôt vingt ans. Il a déjà montré Zaïre, Le cycle du serpent, 1992, Les Derniers Colons, 1995, Mobutu, roi du Zaïre, 1999 (que beaucoup de gens ont vu) et Congo River, 2006.

Le Katanga est convoité par les puissances industrielles en particulier pour son cobalt, son cuivre et son uranium (il est question seulement des deux premiers dans le film). Le Katanga fait partie de l’immense État du Zaïre, c’est-à-dire de l’ex-Congo belge, qui a commencé par être la propriété personnelle du roi Léopold II de Belgique jusqu’en 1908, avant de devenir une colonie administré par la Belgique. Le Congo belge a toujours été un peu différent du modèle colonial « classique », celui de la France, de la Grande Bretagne ou du Portugal, en raison du degré de concentration particulièrement élevé de la propriété et des droits d’exploitation entre les mains de la Société Générale de Belgique, le plus grand groupe industriel et financier du pays. Elle contrôlait environ 70 % de l'économie du Congo et possédait notamment l'Union minière du Haut Katanga, dont la fondation date de 1906 après une fusion entre la compagnie créée par Léopold II et un groupe britannique fondé par Cecil Rhodes (le même dont Lénine parle dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. (Cecil Rhodes prospecta le Katanga à partir de 1899 et obtint des concessions en 1900). La propriété de l’Union minière est passée de la Belgique au Zaïre lors de l’indépendance sous le nom Société générale des carrières et des mines, mieux connue comme la Gécamines. Il est constamment question dans le film d’usines ou de sites appartenant ou ayant appartenu à la Gécamines.

Katanga Business est construit sur un va-et-vient entre ceux qui détiennent les ficelles du pouvoir et ceux qui subissent l’exploitation. Le réalisateur procède par strates en contrepoint, introduisant progressivement à la fois de nouvelles figures personnifiant la domination et des nouvelles situations d’exploitation, de répression mais aussi de résistance coûte que coûte des travailleurs. Il nous offre un entremêlement très maîtrisé de situations et d’individus les incarnant qui rappellent le passé colonial du Zaïre et qui en marquent même une continuité profonde, avec d’autres qui expriment la nouveauté de certaines formes de propriété et d’exploitation. Le film commence par les déplacements en hélicoptère d’un avocat d’affaire canadien Paul Fortin, nommé par la Banque mondiale pour organiser la restructuration et la modernisation d’une immense usine appartenant à la Gécamines qui a servi de « vache à lait » aux régimes successifs, notamment celui de Mobutu. L’usine date de l’Union minière et aucun investissement n’y a été fait avant celui en cours. Ensuite, toujours en survolant le pays minier en hélicoptère on fait la connaissance de Georges Forrest, chef d’une famille belge qui est restée au Zaïre lors de l’indépendance et qui a continué à accumuler sans interruption. La société qu’il dirige est en train faire un immense investissement nouveau. Forrest a comme actionnaires des fonds de pension anglo-saxons dont les représentants viennent inspecter l’avancement du projet où ils ont placé leur argent. Un ingénieur belge René Nollevaux dirige les travaux.

Les formes nouvelles de propriété et d’exploitation sont incarnées d’une part par un « enfant du pays », Moïse Katumbi, et de l’autre par Mr Min, homme d’affaire chinois.

Moïse Katumbi est le gouverneur du Haut-Katanga. C’est un personnage haut en couleur dont l’une des prises de vue avec un chapeau très élégant a servi pour l’affiche et la publicité. Il est gouverneur, mais aussi un capitaliste. Au volant de son 4 × 4, il dit à Thierry Michel "j'ai 60 millions de dollars", 60 millions qu'il a empochés en achetant et exploitant une autre des dépouilles de la Gécamines. Comme tous les politiciens africains, il se déplace les poches pleines de billets. Ils lui servent à huiler des rapports qui relèvent moins du clientélisme que de la forme de « bonapartisme » propre aux pays sous domination impérialiste. On le voit prendre à partie les cadres chinois d'une mine, qui laissent leurs ouvriers aller pieds nus, et tancer sévèrement le directeur de la douane, arrivé en retard à son bureau, qu’il soupçonne surtout de corruption en faveur des entreprises chinoises. Il a la capacité de se transformer instantanément en tribun, d’haranguer des grévistes, de désamorcer une émeute qui monte. Il distribue évidemment ses billets aux pauvres comme aux riches. Après une victoire il donnera des milliers aux joueurs du club de football de Lubumbashi, qu'il possède et dirige. Le film laisse entendre que le gouverneur-propriétaire est adepte du double discours. Les ouvriers restent exposés à la violence des milices des sociétés minières ou de la police qui n’hésite pas à tirer sur une manifestation pacifique.

On sait que les multinationales américaines et européennes subissent en Afrique la concurrence des groupes chinois. Ce film passionnant donne vie à cette lutte pour le contrôle des richesses africaines. Le quatrième personnage de la sorte de « casting » non-fictionnel qui a quand même l’épaisseur de la fiction est donc Mr Min. C’est un businessman dans tous ses réflexes, mais vers la fin il rappelle qu’il est aussi représentant de l'État qui financera les opérations choisies lors de sa mission. Il s'apprête à racheter encore un autre des débris de la Gécamines. Il va assécher un gigantesque lac qui s'est formé sur le site d'une ancienne mine à ciel ouvert, relancer l’exploitation et construire une route qui emmènera le minerai jusqu'à la frontière avec la Zambie. Il expose les contreparties offertes au Zaïre pour obtenir le marché : hôpitaux, routes et chemins de fer permettant d’exporter le minerai.

Dans le film, il y a aussi d’autres chinois. D’abord des intermédiaires qui contrôlent l’achat de minerai aux « creuseurs » katangais (j’en parle plus loin). Mais aussi des travailleurs chinois clandestins. Il y a ainsi une séquence où le ministre des mines du Katanga arrive devant un enclos de tôle. Derrière se cache une mine clandestine, parce que le Katanga est assez grand pour qu'on creuse une carrière à ciel ouvert où travaillent d'énormes engins de chantier, sans rien en faire savoir aux autorités. Les ouvriers sont chinois. Le ministre veut parler au responsable. Il parle seulement quelques mots d'anglais. Il est rudoyé par les policiers qui escortent le ministre. On ne saura pas la suite.

Arrivé à ce point, je n’ai encore seulement parlé que des quatre personnifications de la domination et de l’exploitation. Il est difficile de faire autrement car c’est autour d’eux que le film est organisé. Pourtant les travailleurs et les exploités sont très fortement présents. Dans leur peine, mais aussi à de nombreux moments dans la défense de leurs conditions d’existence et dans leur dignité de travailleurs se dressant face au capital. La condition la plus pénible est celle des creuseurs qui occupent des terrains illégalement à la périphérie des grandes mines. Ils creusent de petites galeries très dangereuses, extraient le cuivre à la pioche et le transportent sur des bicyclettes. Le film montre longuement l’âpreté de leur condition tout autant que leur précarité face aux attributions de concessions aux grands groupes multinationaux ou chinois. Il revient constamment ensuite au point de vue ouvrier : défense de revendications salariales face aux dirigeants des groupes ; délégations chez le gouverneur ; manifestations dont celle où un ouvrier est tué. Les travailleurs sont auto-organisés. Ils ont des portes parole qui risquent leur emploi, voire leur vie pour avoir exprimé, au nom de tous, les revendications. C’est autour des figures de la domination que Katanga Business est construit, mais ce sont les travailleurs qui font de ce film tout le contraire d’un film misérabiliste, un film éclatant de vie.

Le 24 mai 2009

François Chesnais

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