La situation en Palestine semble ne jamais quitter l'actualité, et pourtant elle
paraît si répétitive et si sombre qu'il est difficile de trouver des documents qui
sortent un peu de ce climat. Néanmoins, un film avait déjà attiré notre attention
cette année, celui de Elia Suleiman, Intervention divine, qui nous a surpris (en positif) par
son ton en petites touches, parfois souriantes, qui nous donnaient des Palestiniens un visage
décalé par rapport à celui que nous aurions facilement si nous nous contentions
d'une première approche.
Le livre témoignage de Théodora Oikonomides contient aussi quelques traits d'humour sur les
Palestiniens et souvent par les Palestiniens eux-mêmes. Bien sûr l'auteur, une jeune
enseignante d'origine grecque travaillant pour une ONG en Palestine, témoigne aussi de ses crises
de larmes, de ses désespoirs et de son effroi face à certaines situations. Mais elle le fait
sur un ton jamais larmoyant ou qui voudrait nous attendrir avec un catastrophisme convenu. Théodora
Oikonomides, sans doute parce qu'elle vit depuis 2000 en Palestine, a su percevoir au quotidien toutes
les formes de résistance de la population.
Dans un premier temps, elle a vécu à côté du camp de réfugiés de
Qalandia, non loin de Ramallah. Elle y décrit l'accueil très chaleureux des habitants. Tous
les jours, les familles se sont spontanément présentées à elle et lui ont offert
des gâteaux de toutes sortes, ainsi que des invitations à venir partager leur repas. Pourtant la
vie dans ce camp est très dure. Une famille paie 650 shekels de loyer mensuel, alors que la
mère de famille, qui est la seule à recevoir un salaire gagne 800 shekels par mois [environ 165
€, ndr].
Théodora Oikonomides est chargée de former des institutrices. Elle se lie tout de suite aux
femmes les plus modestes du camp. Elle ne montre par exemple pas beaucoup de sympathie pour sa
supérieure hiérarchique qui vit, elle, hors du camp et dans une certaine aisance.
D'ailleurs cette supérieure profite bien de l'aide des Nations Unies (notamment l'UNRWA
[United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East cf. http://www.un.org/unrwa/ ndr] – Office de secours et de travaux des
Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient, organisation
« provisoire » qui a maintenant 50 ans d'âge), à l'ombre de laquelle elle a
finalement un statu très favorable.
Pas de complaisance donc dans ce témoignage. L'auteur décrit la vie au quotidien sans
exalter de nationalisme pro-palestinien. Elle n'hésite pas, par exemple, à écrire
que les entreprises palestiniennes imposent à leurs salariés arabes des conditions de travail
bien pires que celles qu'on trouve dans les usines israéliennes (pour les mêmes
salariés).
En 2000, l'auteur arrive en plein Intifada. Afin de s'éloigner des combats sanglants qui font
rage autour du camp, elle s'installe à Jérusalem-Est. Mais sa vie dans son quartier surtout
fréquenté par les journalistes étrangers ne l'enthousiasme guère.
Néanmoins, elle voit dans la vieille ville des scènes quotidiennes très
révélatrices. Une jeune femme juive sort son enfant dans sa poussette escortée de deux
hommes porteurs de gilets pare-balles et de mitraillettes. Plus loin, un Palestinien récolte coup sur
coup trois PV. Le premier, parce qu'il n'avait pas mis sa ceinture de sécurité (alors
qu'il était encore à l'arrêt). Le deuxième pour être sorti de sa
voiture (pour protester) en laissant le moteur tourner. Le troisième, après avoir payé
les deux premiers, pour être reparti... sans avoir mis sa ceinture. En revanche, compare l'auteur,
dans les territoires occupés, les Israéliens ont le droit de ne pas boucler leur ceinture, au
cas où ils recevraient des pierres de Palestiniens.
La répression est omniprésente, et toute la population palestinienne vit dans une
véritable prison. On avait l'habitude de parler de la Russie tsariste ou de l'URSS stalinienne
comme d'une prison pour les peuples. De la même manière Bienvenue à Ramallah
est la description de la vie d'un peuple prisonnier, emmuré, quotidiennement fouillé,
contrôlé, humilié et qui ne veut pas quitter sa terre. C'est sa manière de
résister collectivement (même si des centaines de Palestiniens, parmi lesquels des responsables
d'ONG palestiniennes, ont émigré vers la Jordanie, l'Australie ou le Canada pendant que
Théodora Oikonomides était à Ramallah).
Le livre montre l'omniprésence des check-points. Théodora Oikonomides doit en franchir deux
pour aller à son travail. On y subit la toute puissance des soldats israéliens, eux-mêmes
des hommes très jeunes, qui donnent bien souvent l'impression d'être totalement perdus
dans cette guerre. L'attente est interminable, avec des scènes assez surréalistes, comme ce
livreur de Angelo's, le grand restaurant italien de Ramallah, qui passe devant tout le monde au
check-point au milieu des lacrymogènes pour livrer sa pizza !
Parmi les histoires absurdes, il y a celle d'un étudiant palestinien, Hamada. Grâce à
une bourse de l'UNWRA, il a fait ses études à Bir Zeit, en Cisjordanie. Pour pouvoir
poursuivre ses études en France, il doit prendre l'avion. Par Tel-Aviv ? Ce n'est pas
envisageable : les autorités israéliennes ne lui donneront jamais les documents
nécessaires pour le laisser monter dans un avion. Il lui faut donc se rendre en Jordanie et prendre
son avion à Amman. Mais il lui faut alors un visa car il ne vient pas de Cisjordanie, mais de Gaza. Or
le bureau qui donne les visas est à Gaza ! Hamada a alors besoin d'un document pour entrer
à Gaza et un autre pour en sortir. Comme il n'est pas sûr de pouvoir les obtenir des
autorités israéliennes, et parce qu'il ne veut pas se laisser piéger et vivre
enfermé à Gaza, cette immense prison où règne la pauvreté, il demande
à Théodora d'aller faire les démarches à sa place à Gaza, où
pourtant il a toute sa famille.
À Ramallah, l'auteur fait la connaissance de nombreux jeunes, les « shebab ». Il y a
Mohammed, par exemple, chômeur, qui milite au Tanzim, le mouvement de jeunesse du Fatah, qui s'est
inscrit sur la liste des futurs kamikazes, et qui en attendant lui fait visiter la ville en voiture
(volée) avec Abdallah. Ce dernier est chrétien. Lorsqu'il était adolescent, il a
connu la première intifada comme victime. Parce que c'est du jardin de sa maison que les
« shebab » lançaient des pierres, il a été plusieurs fois tabassé par
les soldats israéliens. Alors quand est venue la deuxième intifada il y a pris sa place
spontanément.
Oikonomides ne veut pas justifier ces engagements. Elle montre la vie quotidienne, et cela permet de
comprendre les enchaînements. Son amour pour les gens est souvent plus fort que sa révolte, et
l'auteur montre son émotion et sa douleur. Mais elle se rattache toujours aux gens, en particulier
les Palestiniens les plus simples : des travailleurs handicapés, des jeunes qui galèrent, tous
ceux qui doivent attendre aux check-points.
Il est à noter qu'elle a « illustré » son livre de nombreux schémas et
dessins qui montrent les situations concrètes de l'oppression, en particulier les check-points et
les murs. En bâtissant de très hauts murs, il est clair que les autorités
israéliennes veulent faire en sorte que les colons ne croisent plus, ne rencontrent plus, ne voient
même plus les arabes. Ainsi à Gilo, colonie juive qui fait face au village palestinien de Beit
Jala, près de Bethléem, il y a un mur qui cache Beit Jala. Et sur ce mur, histoire de
l'égayer un peu sans doute, un peintre a représenté la campagne qu'on pourrait
voir de Gilo. À noter qu'il n'a pas jugé utile d'y représenter Beit
Jala !
Chaque page de ce livre donne des exemples de ce genre, des petits faits qu'on ne peut pas
résumer. Voilà pourquoi il s'agit d'un vrai livre de témoignage, comme un
journal de bord. L'auteur n'essaie pas de faire autre chose que de raconter ce qu'elle a vu et
entendu. Elle le fait avec beaucoup d'humanité et de sensibilité. Le lecteur ne peut que
partager ces sentiments.
Août 2003
André Lepic
Autre référence :
Sophie Claudet (journaliste à Ramallah) Revue d'études palestiniennes, hiver
2002
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