Bienvenue à Ramallah

de Théodora Oikonomides

Éditions Flammarion, 2003
Témoignage, 233 pages

La situation en Palestine semble ne jamais quitter l'actualité, et pourtant elle paraît si répétitive et si sombre qu'il est difficile de trouver des documents qui sortent un peu de ce climat. Néanmoins, un film avait déjà attiré notre attention cette année, celui de Elia Suleiman, Intervention divine, qui nous a surpris (en positif) par son ton en petites touches, parfois souriantes, qui nous donnaient des Palestiniens un visage décalé par rapport à celui que nous aurions facilement si nous nous contentions d'une première approche.

Le livre témoignage de Théodora Oikonomides contient aussi quelques traits d'humour sur les Palestiniens et souvent par les Palestiniens eux-mêmes. Bien sûr l'auteur, une jeune enseignante d'origine grecque travaillant pour une ONG en Palestine, témoigne aussi de ses crises de larmes, de ses désespoirs et de son effroi face à certaines situations. Mais elle le fait sur un ton jamais larmoyant ou qui voudrait nous attendrir avec un catastrophisme convenu. Théodora Oikonomides, sans doute parce qu'elle vit depuis 2000 en Palestine, a su percevoir au quotidien toutes les formes de résistance de la population.

Dans un premier temps, elle a vécu à côté du camp de réfugiés de Qalandia, non loin de Ramallah. Elle y décrit l'accueil très chaleureux des habitants. Tous les jours, les familles se sont spontanément présentées à elle et lui ont offert des gâteaux de toutes sortes, ainsi que des invitations à venir partager leur repas. Pourtant la vie dans ce camp est très dure. Une famille paie 650 shekels de loyer mensuel, alors que la mère de famille, qui est la seule à recevoir un salaire gagne 800 shekels par mois [environ 165 €, ndr].

Théodora Oikonomides est chargée de former des institutrices. Elle se lie tout de suite aux femmes les plus modestes du camp. Elle ne montre par exemple pas beaucoup de sympathie pour sa supérieure hiérarchique qui vit, elle, hors du camp et dans une certaine aisance. D'ailleurs cette supérieure profite bien de l'aide des Nations Unies (notamment l'UNRWA [United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East cf. http://www.un.org/unrwa/ ndr] – Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient, organisation « provisoire » qui a maintenant 50 ans d'âge), à l'ombre de laquelle elle a finalement un statu très favorable.

Pas de complaisance donc dans ce témoignage. L'auteur décrit la vie au quotidien sans exalter de nationalisme pro-palestinien. Elle n'hésite pas, par exemple, à écrire que les entreprises palestiniennes imposent à leurs salariés arabes des conditions de travail bien pires que celles qu'on trouve dans les usines israéliennes (pour les mêmes salariés).

En 2000, l'auteur arrive en plein Intifada. Afin de s'éloigner des combats sanglants qui font rage autour du camp, elle s'installe à Jérusalem-Est. Mais sa vie dans son quartier surtout fréquenté par les journalistes étrangers ne l'enthousiasme guère. Néanmoins, elle voit dans la vieille ville des scènes quotidiennes très révélatrices. Une jeune femme juive sort son enfant dans sa poussette escortée de deux hommes porteurs de gilets pare-balles et de mitraillettes. Plus loin, un Palestinien récolte coup sur coup trois PV. Le premier, parce qu'il n'avait pas mis sa ceinture de sécurité (alors qu'il était encore à l'arrêt). Le deuxième pour être sorti de sa voiture (pour protester) en laissant le moteur tourner. Le troisième, après avoir payé les deux premiers, pour être reparti... sans avoir mis sa ceinture. En revanche, compare l'auteur, dans les territoires occupés, les Israéliens ont le droit de ne pas boucler leur ceinture, au cas où ils recevraient des pierres de Palestiniens.

La répression est omniprésente, et toute la population palestinienne vit dans une véritable prison. On avait l'habitude de parler de la Russie tsariste ou de l'URSS stalinienne comme d'une prison pour les peuples. De la même manière Bienvenue à Ramallah est la description de la vie d'un peuple prisonnier, emmuré, quotidiennement fouillé, contrôlé, humilié et qui ne veut pas quitter sa terre. C'est sa manière de résister collectivement (même si des centaines de Palestiniens, parmi lesquels des responsables d'ONG palestiniennes, ont émigré vers la Jordanie, l'Australie ou le Canada pendant que Théodora Oikonomides était à Ramallah).

Le livre montre l'omniprésence des check-points. Théodora Oikonomides doit en franchir deux pour aller à son travail. On y subit la toute puissance des soldats israéliens, eux-mêmes des hommes très jeunes, qui donnent bien souvent l'impression d'être totalement perdus dans cette guerre. L'attente est interminable, avec des scènes assez surréalistes, comme ce livreur de Angelo's, le grand restaurant italien de Ramallah, qui passe devant tout le monde au check-point au milieu des lacrymogènes pour livrer sa pizza !

Parmi les histoires absurdes, il y a celle d'un étudiant palestinien, Hamada. Grâce à une bourse de l'UNWRA, il a fait ses études à Bir Zeit, en Cisjordanie. Pour pouvoir poursuivre ses études en France, il doit prendre l'avion. Par Tel-Aviv ? Ce n'est pas envisageable : les autorités israéliennes ne lui donneront jamais les documents nécessaires pour le laisser monter dans un avion. Il lui faut donc se rendre en Jordanie et prendre son avion à Amman. Mais il lui faut alors un visa car il ne vient pas de Cisjordanie, mais de Gaza. Or le bureau qui donne les visas est à Gaza ! Hamada a alors besoin d'un document pour entrer à Gaza et un autre pour en sortir. Comme il n'est pas sûr de pouvoir les obtenir des autorités israéliennes, et parce qu'il ne veut pas se laisser piéger et vivre enfermé à Gaza, cette immense prison où règne la pauvreté, il demande à Théodora d'aller faire les démarches à sa place à Gaza, où pourtant il a toute sa famille.

À Ramallah, l'auteur fait la connaissance de nombreux jeunes, les « shebab ». Il y a Mohammed, par exemple, chômeur, qui milite au Tanzim, le mouvement de jeunesse du Fatah, qui s'est inscrit sur la liste des futurs kamikazes, et qui en attendant lui fait visiter la ville en voiture (volée) avec Abdallah. Ce dernier est chrétien. Lorsqu'il était adolescent, il a connu la première intifada comme victime. Parce que c'est du jardin de sa maison que les « shebab » lançaient des pierres, il a été plusieurs fois tabassé par les soldats israéliens. Alors quand est venue la deuxième intifada il y a pris sa place spontanément.

Oikonomides ne veut pas justifier ces engagements. Elle montre la vie quotidienne, et cela permet de comprendre les enchaînements. Son amour pour les gens est souvent plus fort que sa révolte, et l'auteur montre son émotion et sa douleur. Mais elle se rattache toujours aux gens, en particulier les Palestiniens les plus simples : des travailleurs handicapés, des jeunes qui galèrent, tous ceux qui doivent attendre aux check-points.

Il est à noter qu'elle a « illustré » son livre de nombreux schémas et dessins qui montrent les situations concrètes de l'oppression, en particulier les check-points et les murs. En bâtissant de très hauts murs, il est clair que les autorités israéliennes veulent faire en sorte que les colons ne croisent plus, ne rencontrent plus, ne voient même plus les arabes. Ainsi à Gilo, colonie juive qui fait face au village palestinien de Beit Jala, près de Bethléem, il y a un mur qui cache Beit Jala. Et sur ce mur, histoire de l'égayer un peu sans doute, un peintre a représenté la campagne qu'on pourrait voir de Gilo. À noter qu'il n'a pas jugé utile d'y représenter Beit Jala !

Chaque page de ce livre donne des exemples de ce genre, des petits faits qu'on ne peut pas résumer. Voilà pourquoi il s'agit d'un vrai livre de témoignage, comme un journal de bord. L'auteur n'essaie pas de faire autre chose que de raconter ce qu'elle a vu et entendu. Elle le fait avec beaucoup d'humanité et de sensibilité. Le lecteur ne peut que partager ces sentiments.

Août 2003

André Lepic

Autre référence :

Sophie Claudet (journaliste à Ramallah) Revue d'études palestiniennes, hiver 2002

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