Pauvre Blanc

de Sherwood Anderson

Roman américain traduit par Richard Matas
Éditions La Découverte, septembre 2005
293 pages, ISBN : 2707147281

Il faut se réjouir de la réédition de ce roman plein de sève publié en 1920 sous le titre « Poor White ». Sherwood Anderson fait partie de ces écrivains américains méconnus ou sous-estimés, comme Theodore Dreiser ou Upton Sinclair. Tous les trois sont nés dans les années 1870. Ils sont les témoins critiques et passionnés des transformations humaines entraînées par l'essor impétueux du capitalisme industriel aux États-Unis, de la fin du XIXe siècle jusqu'à la crise de 1929. Ils sont aussi l'expression littéraire du dynamisme américain, qui emporte les lecteurs de la première à la dernière page, sans répit.

L'auteur

Sherwood Anderson (1876-1941) a emmagasiné une riche expérience sociale avant de devenir écrivain. Il est né dans une famille rurale pauvre, déménageant fréquemment. Sa mère était d'origine italienne. Son père était un conteur impénitent d'histoires imaginaires sur sa propre vie. Le jeune Sherwood a du interrompre ses études peu après l'âge de quatorze ans. Il fut combattant à Cuba dans la guerre hispano-américaine. Après sa démobilisation, il fut administrateur d'une usine de vernis dans une petite ville de l'Ohio. Il abandonna cette situation sans prévenir pour aller travailler dans une agence de publicité. Sa vocation littéraire fut la plus forte. Il quitta tout, femme, enfants et situation bien rémunérée, pour rejoindre à Chicago un groupe de journalistes et d'écrivains radicaux dont Theodore Dreiser. Le succès vint en 1919 grâce à ses nouvelles, même si plus tard sa carrière connut des hauts et des bas.

Sherwood Anderson eut une influence décisive sur la jeune génération des Faulkner et des Hemingway. Son art de nouvelliste chaleureux, amusé et incisif fait merveille dans les recueils « Winesburg-Ohio » et « Le triomphe de l'oeuf ».

Le roman

Le « pauvre blanc » de cette histoire est Hugh Mc Vey, « né dans un trou perdu, une petite ville accrochée tant bien que mal sur un banc marécageux de la rive droite du Mississipi, dans l'État du Missouri. C'était, pour venir au monde, un endroit lamentable. » Son père d'origine sudiste est valet de ferme puis ouvrier dans une tannerie. Après son licenciement, il sombre dans l'alcoolisme. Le jeune Hugh ne sort de son hébétude que grâce à la femme d'un cheminot, Sarah Shepard. Originaire de Nouvelle-Angleterre, elle se sent « invaincue et invincible », « au sein de la communauté des sans-espoir » dont est issue le jeune Hugh. Elle prend donc en mains son éducation d'une poigne énergique et généreuse. La transformation du jeune campagnard en inventeur de machines s'opère dans les années 1890 où les petites villes du Middle West deviennent des mégapoles.

L'intrusion du capitalisme industriel donne la fièvre à tout le monde dans la petite ville de Bidwell, Ohio. « Le cri de guerre : réussir dans la vie. » Les gens de toutes les conditions sociales sont bousculés, brisés ou entraînés dans le mouvement. Partout dans le pays, les magnats tels que les Morgan, les Gould, les Carnegie, les Vanderbilt, « serviteurs du nouveau roi » se donnent « des airs de créateurs » note ironiquement le romancier ; alors qu'ils ne font que profiter des inventions et du travail des autres. « La pensée et la poésie moururent ou passèrent pour archaïques aux yeux d'hommes serviles et faibles qui embrassaient la nouvelle religion. » (page 52) Des jeunes gens sans talent sont payés pour porter aux nues les mérites des nouveaux milliardaires « comme des marques de biscottes ou d'aliments pour le petit déjeuner que l'on veut promouvoir. » (page 79) Une propagande, qui continue à sévir aux États-Unis, est lancée et martelée « dans le dessein de créer l'illusion qui veut que grandeur d'âme soit synonyme de richesse. »

Hugh est à la fois un acteur et un instrument de l'industrialisation. « ...pratiquement tout brevet devenait un point aimanté autour duquel se formait une société industrielle. » Comme beaucoup d'hommes et de femmes de sa génération qui n'ont pas basculé dans le cynisme recuit des hommes d'affaires, la sensibilité d'Hugh Mc Veigh est déchirée. Elle ne parvient pas à s'adapter à ce mouvement économique brutal et trépidant.

Sherwood Anderson exprime avec délicatesse les mouvements psychologiques complexes de ses nombreux personnages. Avec une belle audace tranquille pour son époque, il met à mal le puritanisme en traduisant avec tact les émois sexuels des jeunes hommes et des jeunes femmes dans ce contexte tumultueux.

Le 20 décembre 2005

Samuel Holder

Extrait de ce roman, page 148 :

« C'étaient d'importants hommes d'affaires, mentors des temps modernes, appartenant à cette race d'hommes qui, à l'avenir, en Amérique et peut-être dans le monde entier, allaient participer à la composition des gouvernements, former l'opinion publique, diriger la presse, éditer les livres, patronner les arts et qui parfois, dans leur grandeur d'âme, allaient subvenir aux besoins d'un poète à moitié mort de faim et insouciant de l'avenir, vivant dans un autre univers. »

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