Le déclin de l'empire Whiting

de Richard Russo

Éditions Quai Voltaire, juillet 2002
Roman, 525 pages

Autant préciser tout de suite qu'on ne sort pas indemne de la lecture de ce livre. Il nous offre une chance de connaître un peu mieux les États-Unis d'aujourd'hui et donc de mieux nous connaître nous-mêmes. Paradoxe ? Non. Ces Américains-là ont les mêmes attachements affectifs et les mêmes soucis que nous, pour leurs proches, pour leur emploi et  pour leurs revenus. Comme nous, ils prennent de plein fouet le choc brutal et l'action délétère qu'entraînent les mouvements de capitaux. Comme nous, ils côtoient des gens plus ou moins sympathiques, mesquins ou inquiétants.

Évidemment, comme cette histoire se situe aux États-Unis dans une petite ville industrielle du Maine au nord de Boston, il y a aussi un grand nombre de spécificités locales, sans parler des spécialités culinaires. Il y existe dans ce pays-là un creuset comportemental spécifique dans lequel tous, riches ou pauvres, hommes et femmes, jeunes ou vieux sont censés se fondre : agir et ne jamais se plaindre. Les conséquences sont étonnantes, drôles ou consternantes.

Il est temps de dire quelques mots de cette petite ville de Empire Falls et de ses habitants. Au sens propre comme au sens figuré, la ville est possédée de longue date par la dynastie des Whiting. Ces gens-là ferment les usines textiles quand ça leur chante, subventionnent ce qui leur plaît et ont tout le monde dans le creux de la main, génération après génération. À un pôle se trouve la veuve Whiting avec son argent, son pouvoir de dévastation, ses manipulations et son flegme pervers. « Comme bien des gens aisés, elle ne semblait pas comprendre pourquoi les pauvres ne pensaient pas à prendre leurs quartiers d'hiver à Capri, au climat si agréable. » (page 78)

À un autre pôle se situe Miles Ruby, quarante-deux ans, gérant d'un grill où se retrouvent des étudiants, des travailleurs désoeuvrés par le chômage ou par la retraite, un flic tordu, un journaliste démoralisé, un bravache dirigeant un centre de remise en forme... Miles travaille à longueur de journées avec son frère David et avec Charlene, une jolie serveuse d'âge mûr qui a un sens aigu de la répartie. En fait, à l'Empire grill, tout le monde est très fort pour faire fuser les réparties. Sauf John Voss, un jeune énigmatique que Miles a embauché à la demande de sa fille.

Miles est un homme timide et toujours prêt à rendre service. Il adore sa fille Tick, adolescente sensible. Il aime bien sa femme, même si elle veut divorcer parce que tout est devenu morne entre eux. Miles croit en Dieu ou plutôt il aimerait croire en ce gars-là qui ne se manifeste pas au moment où l'on aurait vraiment besoin de lui. Pour compliquer la vie de Miles, il est doté d'un père, l'inénarrable Max, soixante-dix ans, qui ne se fait jamais de bile mais en provoque beaucoup chez son fils...

Ce roman dense, à la fois social et intimiste, va bien au-delà de la simple chronique. Richard Russo met en œuvre avec sobriété des registres multiples : réaliste, humoristique, philosophique et aussi terrifiant dans la tradition d'un Edgar Allan Poe. La justesse avec laquelle il peint les relations entre les adolescents d'aujourd'hui est particulièrement remarquable.

Le 11 novembre 2002

Samuel Holder

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