Cet ouvrage est issu d'une thèse de doctorat,
allégée pour publication. Antoine Prost, qui en fut le directeur de
thèse, en précise, dans sa préface, l'ambition et les limites :
« abandonnant les vastes synthèses pour des monographies plus pointues,
qui feront progresser nos connaissances sur des fronts limités mais
décisifs [...] ce livre fait entrer dans l'histoire les volontaires
français en Espagne républicaine qui, jusqu'ici, appartenaient
plutôt à une légende héroïque ou
sinistre. »
La masse d'archives et de documents étudiés et pris en compte par
Rémy Skoutelsky (sans parler des témoignages écrits et oraux) est
impressionnante. Résumons :
en France : archives du ministère des affaires étrangères, de la Préfecture de Police de Paris, archives départementales à Foix, Carcassonne, Lille, Arras, Pau, Perpignan, Rouen.
En Espagne : archives de la section « guerre civile » de Salamanque, du service historique militaire de Madrid, ainsi que celles du P.S.O.E.
En Suisse : archives de la Société des Nations à Genève.
En Russie : archives du CRCEDHC, organisme qui a hérité de l'Institut Marx-Lénine. L'auteur est le premier historien qui ait pu consulter et utiliser cette mine, en 1992 et 1993. Notamment plusieurs milliers de dossiers de brigadistes français comportant la fameuse « bio » (65 questions) ainsi que le formulaire de démobilisation établi en automne 1938 (85 questions).
Y ajouter les archives du Comité exécutif de l'I.C. et de son secrétariat, le fonds personnel d'André Marty, sa correspondance avec la direction du PCF, etc
En fin, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (1914-1939) publié sous la direction de Jean Maitron et Claude Pennetier, a permis à l'auteur d'étoffer les biographies de militants, souvent inconnus, qu'on retrouve au fil des pages, qui donnent chair et vie à ce livre, les fait sortir de l'oubli et réintégrer la mémoire collective du mouvement ouvrier.
Le choix du sujet, ainsi que celui du titre, laissaient entrevoir la
sympathie de Rémy Skoutelsky pour les brigadistes et leur engagement. Dans son
« Prologue », il précise aussi certaines antipathies :
« Contrairement à la majorité (la totalité ?) des
historiens qui tracent aujourd'hui un signe d'égalité entre
fascisme et communisme – quand ils ne cherchent pas à relativiser les crimes
du premier pour mieux faire ressortir ceux du second - ; je n'ai jamais appartenu au
Parti communiste (ou à une organisation maoïste)... Il n'en reste pas
moins que je n'ai toujours pas le moindre doute sur le camp dans lequel il fallait se
trouver à Stalingrad en 1943. A Madrid en 1936. »
Ainsi épinglés, Stéphane Courtois, ses acolytes et leur maître
à penser François Furet se retrouvent en compagnie d'Annie Kriegel,
dont l'auteur cite un article du Figaro du 29.12.1992. Cette stalinienne
des années 50, reconvertie, y écrivait, à propos d'un projet de
loi visant à attribuer la carte de combattant aux anciens des B.I. d'Espagne :
« L'antifascisme était un concept à l'abri duquel les
communistes se faisaient fort de déployer la classique stratégie
léniniste de conquête révolutionnaire du pouvoir. »
Pour les 32 000 volontaires des Brigades internationales, dont les 9 000 français
qui sont au cœur de cette étude, l'antifascisme était bien autre
chose qu'un concept. L'analyse sociologique qui nous est livrée se base
sur un « échantillon » de 3 910 noms. 92% sont des salariés,
principalement ouvriers ou manœuvres, issus des départements fortement
urbanisés et industrialisés (région parisienne, Nord - Pas de
Calais, triangle Lyon – Saint Etienne – Grenoble, région de
Marseille). Très peu de fonctionnaires. Encore moins d'intellectuels. Plus de
la moitié sont des hommes mûrs, entre 26 et 34 ans, ayant donc une vie
familiale et professionnelle. Plus de la moitié sont membres du PCF ou des JCF. Si
l'on y ajoute les militants socialistes, anarchistes, trotskystes et les
syndicalistes, on dépasse les 80%.
Le chapitre intitulé « Pourquoi partir en Espagne » s'attache
à démêler leurs motivations profondes du flou des souvenirs et des
falsifications politiques intéressées. La difficulté est
double :
Mais la tâche s'avère difficile, car c'est bien une
révolution qui poursuit son cours en Espagne. L'auteur en rappelle, dans sa
préface, la chronologie et les antécédents :
« Dès le lendemain des élections (16 février 1936), des
manifestations de masse ont ouvert les prisons et libéré les ouvriers
incarcérés depuis 1934. Des grèves aux revendications multiples
éclatent dans tout le pays. La situation à la campagne est
révolutionnaire... Les paysans, dans plusieurs régions, occupent les
domaines des grands propriétaires et commencent à les cultiver pour leur
propre compte, provoquant de nombreux et sanglants affrontements. » (Sur la
Commune asturienne de 1934, voir L'insurrection des Asturies de Manuel
Grossi, EDI 1972. Franco en dirigea, déjà, la terrible répression.
Le mot d'ordre U.H.P.- Unios, Hermanos Proletarios, Union, frères
prolétaires – fut largement repris en 1936)
Le coup d'Etat militaire des 17 et 18 juillet 1936 n'est donc nullement un coup
de tonnerre dans un ciel serein. Il est attendu de tous. Et s'il échoue, dans
la plupart des grandes villes, c'est parce que des centaines de milliers
d'ouvriers se rassemblent, notamment à Madrid et Barcelone, pour
réclamer des armes. Ils ne les obtiendront que le 19, après deux refus
gouvernementaux.
Comme articles et discours ne suffisent pas, ce sera par la force armée que les
représentants de l'I.C. devront briser l'élan
révolutionnaire. Ce sera fait du 2 mai au 6 mai 1937 à Barcelone.
Après l'interdiction du POUM (Parti Ouvrier d'Unification Marxiste), il
leur restera à pourchasser puis à calomnier ses militants,
requalifiés de trotskystes, ainsi que les anarchistes qui s'opposent à
la « normalisation ». Documents à l'appui, l'auteur estime
que, pour l'essentiel, les victimes de la répression furent
exécutées par les « conseillers » soviétiques
(baptisés « mexicains » dans les documents) et que le surnom
d'André Marty, « boucher d'Albacete » serait donc, en quelque
sorte, usurpé.
Deux textes permettent de comparer la Barcelone révolutionnaire et celle qui a
suivi la répression contre-révolutionnaire de mai 1937. Le premier est de
George Orwell, militant de l'I.L.P.(Independent Labour Party), engagé dans les
milices du POUM à son arrivée à Barcelone en décembre 1936.
Dans son Hommage à la Catalogne (éd.10/18, cité par
Rémy Skoutelsky), il raconte : « C'était bien la
première fois de ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe
ouvrière avait pris le dessus. A peu près tous les immeubles de quelque
importance avaient été saisis par les ouvriers et sur tous flottaient des
drapeaux rouges ou des drapeaux rouge et noir des anarchistes [...] Tout le monde se
tutoyait, on s'appelait « camarade » et l'on disait Salud au lieu de
Buenas dias... »
En juillet 1937, la vision de l'écrivain cévenol André Chamson,
compagnon de route du PCF, est bien différente (Retour d'Espagne, rien
qu'un témoignage, éd. Grasset, 1937). Il n'est pas cité
dans le livre, mais le contrepoint avec l'extrait d'Orwell est si manifeste
qu'il a sa place ici : « Cet ordre des sentiments, cette mesure dans la vie
intérieure répond parfaitement à l'ordre qui règne dans
tout le pays. Car, je le répète, le pays est en ordre. Le pays est en ordre
en ce mois de juillet, qui marquait l'anniversaire du déchaînement de la
violence. Le décor héroïque et tumultueux des premiers mois de la
guerre civile que tant de récits nous ont rendus familiers avec ses hommes en
armes, ses postes improvisés le long des routes et à l'entrée
des agglomérations, a complètement disparu. Des agents gantés de
blanc règlent la circulation ; la police régulière assure la
sécurité de chacun. Même la nuit quand les lumières sont
éteintes, on peut circuler sans danger dans les trois métropoles de la
République. A Barcelone, à Valence, à Madrid même, on se
croirait dans n'importe quelle capitale civilisée de l'Occident
européen. Il n'y a plus de guerre civile, dans cette moitié du
territoire que protège le gouvernement de la République. »
Ce n'est pourtant pas pour restaurer l'ordre (rêve récurrent
d'une gauche policée) que plusieurs dizaines de milliers de brigadistes ont
quitté famille et travail. Parmi les témoignages recueillis auprès
des survivants, citons, en vrac, quelques souvenirs restés très vivaces :
« J'étais très jeune, sans aucune expérience, sans
presque d'éducation politique, poussé par un instinct de
classe... »
« ...J'étais un ouvrier, j'étais un exploité...et
il y en avait d'autres qui étaient en train de se faire massacrer, et ce
n'était pas normal qu'on ne les aide pas. »
« ...Il y avait un internationalisme, j'allais dire plus profond
qu'aujourd'hui, fort développé. Surtout dans les régions
industrielles, il y avait presque partout des Polonais clandestins, des Allemands
clandestins, des Italiens clandestins, si bien que s'étaient noués des
rapports très forts. »
« Les grandes grèves, c'est juin 1936, le début de la guerre
d'Espagne, c'est 17-18 juillet. Tu vois dans quel état d'esprit on
était...On était enthousiaste, quoi . »
« Vivre, oui ; nous voulions vivre sans remords d'avoir laissé
assassiner nos frères ; nous ne voulions pas être les lâches
témoins d'une immense duperie ; « la
non-intervention » ».
Le livre rappelle en effet comment la « non-intervention » du Front populaire
en France (la gauche plurielle de l'époque) acheva la Révolution
espagnole. Bref rappel : le 23 juillet 1936, Léon Blum consulte le gouvernement
anglais à Londres. Il semblait alors décidé à répondre
favorablement à la demande d'aide du gouvernement espagnol. Mais le
conservateur Stanley Baldwin lui fait connaître son opposition, se sentant, dit
Rémy Skoultesky, « ...plus d'affinités avec Franco qu'avec
les « rouges » » (il est vrai qu'il avait déjà fait
ses preuves en matant la grève générale anglaise en 1926). En
France, les dirigeants radicaux, Herriot en tête, font pression dans le même
sens. Après hésitations, de Blum, qui songea à démissionner,
le Conseil de Cabinet du 7 août adopte un projet de « pacte de
non-intervention » alors que l'intervention de l'Allemagne nazie est
déjà patente. Même quand elle se transformera, fin septembre, en
« non-intervention relâchée », elle scellera la défaite
programmée de la République espagnole. Ni les fournitures clandestines du
gouvernement français, ni celles de l'URSS, plus importantes mais tardives et
insuffisantes, ne seront en mesure d'inverser le rapport des forces militaires. De
plus, en laissant aux fournitures soviétiques un quasi monopole, la
non-intervention donna à l'I.C. les moyens de contrôler, puis de briser
la révolution espagnole.
Le sous-armement chronique explique, en grande partie, qu'un brigadiste
français sur quatre ait été tué, un sur deux blessé
plus ou moins grièvement, selon une estimation raisonnée de l'auteur.
Malgré ce lourd tribut, les Brigades internationales sont restées un peu
à l'écart dans l'historiographie du mouvement ouvrier. José
Fort, fils du brigadiste Gabriel Fort, en résume les raisons
(l'Humanité du 4.10.95 cité en tête du chapitre 10),
bien qu'il omette curieusement de mettre en cause la non-intervention :
« Des milliers de brigadistes ont été tués une
première fois par les franquistes et leurs alliés mussoliniens,
hitlériens et fascistes français. Une seconde fois par Vichy et Berlin. Une
troisième par Staline et ses acolytes. Puis ils ont été
marginalisés, voire oubliés [...] car remettant trop de choses en
question. »
C'est à ces remises en question salutaires que s'est attaché
L'espoir guidait leurs pas. Il n'a pas été possible dans
le cadre d'une note de lecture, d'en faire un compte rendu exhaustif.
Mentionnons tout de même le rôle des anciens brigadistes dans la
Résistance en France occupée, ainsi que leur mise en cause dans
« l'affaire Marty » et au cours des procès des Démocraties
populaires (voir Arthur London, Aux sources de l'aveu, Gallimard 1997). Les
B.I. y furent en première ligne, dans la répression du
« titisme » et du « trotskysme ». Les cadavres sortent des
placards.
(note de lecture publiée dans Carré rouge n°9, octobre 1998)
Maurice Roth