10e Chambre, instants d'audiences

Film documentaire de Raymond Depardon

juin 2004, 105 minutes

S'il s'agissait d'une fiction, on pourrait parfois en rire ou parfois en pleurer. Mais confronté à un documentaire au plus près de la réalité d'un tribunal correctionnel, on a plutôt le cœur serré et un taux d'indignation en constante progression jusqu'à la fin du film. Comme les « acteurs » sont tous excellents, chacun dans leur rôle, cela n'est pas sans engendrer un certain malaise car c'est un peu ou beaucoup l'avenir d'êtres humains qui est ici en jeu.

Raymond Depardon a eu le droit de placer deux caméras pendant trois mois au sein de la 10e chambre correctionnelle de Paris. Il a sélectionné comme il le dit dans le titre, des « instants d'audience » concernant douze affaires dites « mineures ». La juge est toujours la même, Michèle Bernard-Requin, qui s'est prêtée à l'expérience en situation réelle. Si cette personne était une actrice, il faudrait reconnaître qu'elle est vraiment très bonne, très crédible. Elle ne « surjoue » pas, elle est impliqué dans son travail mais pas trop, elle est ironique, très psychologue, « compréhensive » ou intraitable. Tout ne dépend pas seulement des faits reprochés mais de l'attitude du prévenu. En tant que juge, elle n'échappe pas aux principes de fonctionnement de l'appareil judiciaire, aux « exigences de la loi », aux règles sociales conçues pour les forts et les nantis, et enfin à sa propre appréciation du cas qu'elle doit trancher. Il est clair que cette juge n'est pas banale et qu'elle est probablement plus « humaine » que la moyenne. Mais la sentence l'est-elle pour autant ? Et le système carcéral ?

Les avocats commis d'office sont consternants par leur médiocrité frôlant parfois la stupidité. Les procureurs sont venimeux et d'une insigne mauvaise foi, comme il est d'usage. Ils ont cette façon de détacher une phrase prononcée par la personne à la barre, pour la lui renvoyer férocement à la figure comme un acte d'accusation définitif qui apparente cette profession, comme le plus souvent celle des juges et des policiers, à celle des politiciens retors, rivant leur clou à leurs contradicteurs et adversaires.

Les affaires ici examinées, parfois en audiences nocturnes à deux heures du matin, vont de l'outrage à contractuelles au harcèlement à l'égard d'une femme, en passant par la vente de cannabis, le vol à la tire, la conduite en état d'ivresse ou l'état de sans-papiers. Un sans-papiers qui n'a jamais connu son père, qui ne sait pas où vit sa mère, qui est venu de Mauritanie en France à l'âge de quinze ans, sans avoir pour autant la nationalité mauritanienne, et qui n'a rien fait de répréhensible est un apatride, bref un scandale vivant pour l'inhumanité de cette société « défendue » par la Justice française !

Que les accusés tentent de mentir un peu pour s'en sortir, on leur fait la leçon de morale et on exige d'eux une attitude humble. Que certains disent froidement la vérité, on leur fait la leçon parce qu'ils font de la provocation. La machine judiciaire rend coupable ou tout du moins s'efforce de culpabiliser tout le monde. Si un prévenu s'en sort sans condamnation, c'est « au bénéfice du doute ».

Affaire à suivre et surtout société à changer, de toute urgence.

Le 22 juin 2004

Samuel Holder

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