Nous vivons dans un monde qui s'ingénie à raviver toutes les
blessures de l'histoire. Entre l'Afrique et l'Amérique, il s'est produit une
tragédie, une plaie ouverte qui n'est toujours pas cicatrisée. Un peuple a subi
un génocide et ses survivants ont été réduits en esclavage. Leurs
descendants actuels sont en butte au racisme sous toutes ses formes et la plupart d'entre eux
sont réduits aux plus mauvaises places dans la société américaine.
C'est aussi l'incompréhension entre les damnés de la terre américaine
et ceux de la terre africaine qui prédomine. Voilà ce dont nous parle ce film au
lyrisme contenu et déchirant.
Alloune, joué par le grand acteur Sotigui Kouyaté, est un vieux guide
sénégalais à la Maison des esclaves, dans l'île de Gorée. Il
explique à des touristes, Noirs américains, quel fut le sort réservé
à leurs ancêtres. Quelques phrases sobres, des chaînes, un boulet, des murs
lépreux et une embrasure étroite débouchant sur l'océan, cela
suffit pour évoquer le drame de plusieurs générations arrachées
à leur pays et à leur civilisation.
Un rêve pousse le vieux guide à aller en Amérique à la recherche de
descendants de sa famille. Alloune débarque en Caroline du Sud, fouille les archives,
examine les tombes, interroge les descendants de propriétaires esclavagistes. Partout il
rencontre cette politesse glacée qui marque la distance devant ce grand Africain à la
démarche souple, d'une dignité qui provoque un certain malaise.
Toujours sur la trace de ses ancêtres, il arrive à New York dans une enclave de Harlem
appelée Little Sénégal où des immigrés Africains tentent leur
chance comme d'autres le font à Paris, à Londres ou à Berlin. Nulle part
sur cette planète il n'y a de fraternité entre les différentes vagues
d'immigrants et les États-Unis ne font pas exception. La concurrence sur le
marché du travail des derniers arrivés provoque plus souvent l'hostilité
que la solidarité. Les Africains de Harlem endurent le mépris, voire le racisme de la
part des Afro-Américains.
Alloune retrouve un neveu, chauffeur de taxi clandestin et Ida, une lointaine cousine qui tient un
kiosque. Avec sa démarche de griot, médiateur entre les êtres qui
s'affrontent ou s'ignorent, il persévère, cherchant une faille dans les
blindages de chacun et s'efforçant de créer des liens fraternels entre tous ceux
dont les racines communes sont africaines. Ida lui explique qu'en fait, ici à New York,
« tout le monde est vert », la couleur du dollar. C'est ce qui fait courir tout le
monde et engendre une dureté dans les rapports humains qu'il est difficile et dangereux
d'ébranler.
Nous ne raconterons pas davantage de cette histoire où les incompréhensions, les
tensions et aussi la tendresse entre hommes et femmes sont remarquablement mises en
évidence. Ce film provoque des émotions d'une force qui conduit à
réfléchir sur le monde actuel.
Tous ces déchirements, ces rivalités entre les personnes, cet héritage
douloureux laissé par l'esclavage, cette faille entre l'Afrique et
l'Amérique, il faudra certainement changer la société à
l'échelle mondiale pour les dépasser.
Le 3 mai 2001
Samuel Holder