Cet écrivain indonésien né en 1925 a été proposé
plusieurs fois pour le prix Nobel. Sur une œuvre qui compte notamment une trentaine de romans et de
nombreuses nouvelles, celui-ci est le cinquième ouvrage traduit en français. Nous ne
chercherons pas à élucider ici un de ces nombreux et regrettables mystères de
l’édition française...
Pramoedya Ananta Toer, plus simplement connu sous le diminutif de Pram, est un écrivain
internationalement connu et une des figures culturelles les plus importantes en Indonésie. Il est
intimement lié à l’histoire et aux luttes politiques et sociales de son pays. Il a connu
aussi bien les prisons des colons néerlandais, celles de Sukarno pour avoir défendu la
minorité chinoise que celles de la dictature militaire de Suharto pour ses positions proches du Parti
communiste indonésien. Il fut à sa sortie de prison assigné à résidence
jusqu’à la chute du régime. Il vit actuellement dans la banlieue de Djakarta.
Gadis Pantai La Fille du Rivage date de 1962, trois ans avant la prise du pouvoir par Suharto. Dès les
premières pages, on comprend que Pram n’est pas un romancier se réfugiant dans une
tranquille et hautaine neutralité. Un souffle d’indignation contre les classes dominantes
parcourt ce roman sensible et implacable.
L’histoire de cette jeune fille, Gandis Pantai, est en fait celle de sa grand-mère à qui
il avait promis d’envoyer un sarong, un pagne en batik, dès qu’il gagnerait sa
vie : « Je m’en allai à Jakarta. Elle aussi s’en alla, mais pour toujours.
C’était ma grand-mère maternelle. Une personnalité, un caractère. Je
l’aimais. Je l’admirais, j’en étais fier. Je lui avais promis un sarong, je lui
offre en échange ce livre. » Il nous livre le portrait d’une jeune villageoise au temps
où les colons hollandais réprimaient dans le sang la moindre velléité de
révolte avec la collaboration des nobles locaux.
Gadis Pantai a eu le malheur d’être remarquée pour sa beauté par un noble, un
Bendoro, alors qu’elle n’avait que quatorze ans. Ses parents qui habitent un pauvre
village de pêcheurs doivent se résigner à la donner en mariage au Bendoro, qui
réside dans une grande maison à la ville et applique les règles d’un Islam
rigoureux. L’enfant est terrifiée par cet environnement étouffant : « Avant,
elle disait toujours ce qu’elle pensait, ce qui la faisait souffrir ou pleurer, ou clamer la joie de
son jeune cœur. A présent elle devait se taire – personne ne désirait entendre sa
voix. Elle ne pouvait que chuchoter. Et dans ce lieu de prière, même pour bouger, il lui fallait
observer des règles préétablies. » (page 39)
Elle ne reconnaît plus son propre visage qu’on a fardé : « C’était
celui d’une poupée, il n’y avait plus la moindre trace de l’être enfantin
qu’elle était alors. L’essence même de l’enfance avait disparu de son regard,
et pour toujours. »
La vieille servante qui est constamment sous ses ordres doit la préparer à devenir une
première dame accomplie dans toutes les situations. Elle est la seule personne avec qui des
échanges restreints et contraints soient possibles. Par ce biais, une éducation sociale tout
autre va fleurir en elle. Gadis Pantai n’oublie pas un seul instant son village frappé par la
misère et les raz de marée, ses deux frères noyés en pêchant et sa propre
enfance où elle étendait les filets de pêche, faisait la cuisine et pilait les crevettes
séchées pendant des heures. Son village était aussi un monde impitoyable mais dont elle
connaissait les codes.
Elle apprend ce que fut le passé tragique de sa servante. Cette découverte confrontée
à sa propre expérience agit progressivement comme un révélateur de ce
qu’est l’oppression et ses visages multiples. Elle fortifie son refus de plier devant elle.
Le 7 février 2005
Samuel Holder
URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/critiques/Pramoedya_Ananta_Toer-Gadis_Pantai.html