Le Ventre de l'Architecte n'est certainement pas le film le plus populaire
de Peter Greenaway. Et pourtant, c'est celui qui m'a conquis dès les premières images.
Et surtout celui qui, d'emblée, m'a fait aimer ce réalisateur hors du commun et m'a
poussé à découvrir ses autres oeuvres.
Peut-être ai-je, en fait, été séduit avant tout par l'esthétique des
prises de vues, étant moi-même photographe. Et en particulier par la rigueur et la
symétrie du cadrage. Une rigueur qui se comprend aisément lorsqu'on considère le
thème principal du Ventre de l'Architecte : l'architecture, évidemment ; mais
plus précisément le travail d'un architecte visionnaire, Etienne-Louis Boullée.
J'y reviens plus loin...
Le scénario se résume, finalement en quelques mots :
Un architecte américain, Stourley Kracklite (Brian Dennehy), se voit confier la réalisation
d'une ambitieuse exposition à Rome sur l'architecte français Etienne-Louis
Boullée. Mais son obsession pour son ventre et la relation que sa femme (Chloe Webb) entretient avec
un jeune amant Caspasian Speckler (Lambert Wilson) vont progressivement le hanter jusqu'à
l'inauguration de l'exposition...
Deux éléments peuvent déstabiliser le spectateur qui visionne pour la
première fois Le Ventre de l'Architecte :
D'une part, la musique.
Composée principalement par Wim Mertens - les « additional musics » étant
l'oeuvre de Glenn BRANCA.
Elle est omniprésente dans le film – comme d'ailleurs dans toutes les oeuvres de P.
Greenaway – voire entêtante diront certains. Et ceci dès les toutes premières
images de Rome.
Autant j'ai été immédiatement séduit par la bande originale, autant nombre de
mes amis ont été déroutés par l'anachronisme qui existe entre la musique
« contemporaine » de Wim Mertens et le cadre antique des vues de Rome.
The Belly of an Architect, Wim Mertens (1987) – SONY Delabel
D'autre part, les références visuelles.
Loin de moi la prétention de me livrer ici à une démonstration complexe sur les
intentions de l'auteur, mais il me paraît tout de même intéressant de vous indiquer
une clé de lecture. Du moins un angle qui permet d'appréhender plus facilement Le
Ventre de l'Architecte.
On ne peut saisir la complexité du scénario et le travail minutieux de cadrage effectué
par P. Greenaway que si l'on a la curiosité de découvrir qui était Etienne-Louis
Boullée.
J'ai moi-même cherché à en savoir plus. Et j'ai trouvé un ouvrage assez
abordable pour le commun des mortels, pour qui n'est pas nécessairement féru en
architecture.
Boullée, Philippe Madec – Éditions F. Hazan (FH), 1989, ISBN : 2 85025 203 4
Tout le travail esthétique de P. Greenaway est basé sur la vision
d'Etienne-Louis Boullée, architecte du XVIIIème siècle, auteur en particulier du
salon de l'Hôtel d'Evreux, aujourd'hui Palais de l'Elysée.
E-L Boullée est ce que l'on a coutume d'appeler un « architecte visionnaire » : il
dessine beaucoup, conçoit de nombreux projets, mais ne construit pour ainsi dire pas. Peut-être
en raison, tout simplement de la trop grande ambition de ses projets (voir le fameux cénotaphe
à Newton, ou encore son Grand Théâtre).
Toujours est-il que, dès le début, Boullée est obsédé par la rigueur,
poussant l'épuration des lignes et la symétrie à leur paroxysme. Certains diront
même que l'architecture soviétique s'est inspirée de
l'austérité des travaux de Boullée.
Le Ventre de l'Architecte est construit sur ce modèle « boulléen », empreint
à la fois de rigueur et de mégalomanie, donnant lieu aux pires rivalités et luttes
d'influence.
À voir absolument. Et par pitié, regardez-le jusqu'au bout !
Peter Greenaway (Newport, 1942) – Cinéaste britannique
P. Greenaway étudie les Beaux Arts avant de se consacrer au cinéma. D'abord en tant que
producteur, puis dès 1966 en tant que réalisateur. Il présente alors plusieurs
courts-métrages dans de nombreux festivals internationaux. Jusqu'à la consécration,
en 1982, avec son premier long-métrage : le fameux Meurtre dans un jardin anglais (The
draughtman's contract). Au Ventre de l'Architecte (1987) succéderont les
excellents
Drowning by numbers (1988), film réalisé en 100 plans, dans lequel les scènes
sont systématiquement numérotées ; Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son
amant (1989) ; Prospero's Books (1991) d'après La Tempête de
Shakespeare; The Baby of Mâcon (1993) et The Pillow Book (1995).
Boullée, Philippe Madec – Éditions F. Hazan (FH), 1989, ISBN :
2 85025 203 4
Jean-Marie Perouse de Montclos (Relié, 287 pages) – Flammarion, 2002
Une exposition virtuelle de la Bibliothèque Nationale : http://expositions.bnf.fr/boullee/
F.C.
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