Le jeune Yussuf quitte son village pour tenter de trouver du travail à Istanbul. Il n’a pas
le choix. L’usine dans laquelle il travaillait ainsi que son père les a licenciés. Mille
personnes se sont retrouvées sur le carreau. Yussuf a l’adresse de Mahmut, un cousin
installé à Istanbul et originaire du même village que lui. Mahmut, lui, gagne
plutôt bien sa vie comme photographe attitré d’une entreprise de carrelages ! Au demeurant
c’est un métier assez peu exaltant pour un homme qui rêvait d’être un grand
cinéaste. Certes il a un appartement, une voiture et un ordinateur connecté sur internet. Mais
il est en plein désarroi depuis son divorce avec sa femme qu’il aime toujours sans se
l’avouer.
Mahmut a accepté d’héberger son cousin campagnard sans excès
d’enthousiasme, le temps qu’il trouve un emploi. Les deux hommes cohabitent mais communiquent
fort peu, chacun étant muré dans sa solitude et englué dans ses soucis. Yussuf court les
docks et les officines pour se faire embaucher. Efforts vains auxquels succèdent des errances qui lui
font découvrir la ville ou lui faire suivre une silhouette féminine. Chacun se
débrouille avec sa tristesse dans une ville maussade qui devient superbe quand elle se couvre de
neige.
Chaque plan de ce film a été mûrement pensé et offre matière à
information sur les relations humaines, à admiration pour la beauté de certaines images ou
à réflexion sur sa propre vie, au travers de ce que ressentent aujourd’hui des habitants
d’Istanbul frappés par la crise économique et ses effets déliquescents sur leur
vie sentimentale. Le rythme est lent, méditatif, comme chez le cinéaste japonais Ozu ou le
cinéaste italien Antonioni. On ressent l’ennui d’existences sans perspectives, sans
s’ennuyer une seule seconde. Le réalisateur sait aussi nous surprendre et introduire des touches
d’humour doux amer. On suit avec passion la vie de ces deux hommes, chargée l’une comme
l’autre de tensions sourdes, de frustrations sexuelles et sentimentales, de malentendus nourris par les
différences sociales.
Le 22 janvier 2004
Samuel Holder
URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/critiques/Nuri_Bilge_Ceylan-Uzak.html