Vincere

Film italien de Marco Bellochio

2009, 128 min
avec Giovanna Mezzogiorno, Filippo Timi, Corrado Invernizzi

Ceux qui aimeraient trouver des éléments de réponses à leurs propres craintes et interrogations (la crise a fait resurgir dans la mémoire collective le spectre du fascisme) risquent d'être déçus : le film de Bellochio n'est pas un film à thèse sur le fascisme. Pas de cours d'histoire donc sur l'origine et la montée du fascisme. La première partie piège un peu le spectateur-militant qui se demande comment est-il possible de passer ainsi de l'extrême gauche à l'extrême droite ! Même si nous en avons des explications, ça nous dérange malgré tout, avouons-le… On voit donc Mussolini, jeune militant révolutionnaire socialiste, d'abord farouchement opposé à la guerre puis quelques mois plus tard prenant parti pour l'intervention militaire, citant Blanqui (« qui porte le fer a du pain »), se faisant exclure de son parti mais en se déclarant encore plus socialiste que jamais. On aimerait donc comprendre comment l'histoire a pu accoucher d'une telle monstruosité pour avoir ainsi relié de façon aberrante et démagogique deux idéologies adverses (le terme nazi d'ailleurs, ne l'oublions pas, est une contraction de national-socialisme)… Mais Bellochio nous laisse sur notre faim : il ne fait pas un film sur Mussolini ! Il ne nous reste plus alors qu'à baisser la garde et à accepter « l'autre regard », l'autre façon de dire les choses et à profiter d'un film subtil et magnifique, tout en nuances, tout en symboles. Violent aussi. Qui ne se contente pas de raconter une histoire, de faire appel à notre réflexion comme à notre émotion, mais qui sollicite les deux sens que le cinéma a la possibilité de stimuler : images qui se surimposent soudainement, champs de fleurs sur fond de cheminées d'usines, visages hallucinés sortis de tout cadre, passages chantés (comment pourrait-on oublier l'opéra lorsqu'on situe une action à Milan ou Venise) sur musique wagnérienne…

C'est donc une autre histoire qui nous est racontée, celle d'une des maîtresses de Mussolini, Ida Dalser. Ce n'est pas la plus connue. L'a-t-il réellement épousée, a-t-il été bigame ? Rien ne permet vraiment de l'affirmer. Un petit Bénito est né de leur liaison, mais la mère et le fils ont fini leurs jours en asile, leur existence dérangeant le nouveau maître de l'Italie. Ce n'est cependant pas cela qui fait de lui un fasciste Ida Dalser est donc une victime, celle d'un homme terriblement ambitieux prêt à écarter tout ce qui le gêne sur le chemin qui le mène au pouvoir ; elle n'est pas une victime du fascisme en tant que tel (comme le journaliste homosexuel du film d'Ettore Scola Une journée particulière), elle voue d'ailleurs une admiration sans borne à celui qu'elle a financièrement aidé et dont elle a partagé les convictions. Et pourtant…Cette histoire de femme abandonnée n'est pas « hors contexte ». C'est bien l'Italie fasciste qui en est la toile de fond. L'homme qui l'a trompée n'est pas n'importe qui : c'est un de ces hommes qui « a fait l'histoire ». On ne le voit plus d'ailleurs dans la suite que par le biais des images d'archives. Marco Bellochio nous dit tout ça, à sa manière, par petites touches, par images allégoriques, par petites phrases symboliques.

>Dans le labyrinthe des symboles, chacun rentre avec son propre bagage, sa culture, ses convictions, ses dégoûts, ses incertitudes et ses interrogations. Chacun suit donc ses propres fils. Pour ma part, j'en ai suivi deux. Celui qui conduit à la soumission/rébellion ; celui qui mène à la folie. Il m'a semblé qu'ils couraient parfois en parallèle dans le film pour finir par se croiser. La soumission, c'est d'abord celle exigée des femmes. Si dans les sociétés démocratiques les femmes ont encore à se battre contre les injustices dont elles restent victimes, il faut reconnaître que les dictatures leur rendent la vie bien plus compliquée surtout lorsque la religion s'en mêle ! Le régime fasciste demandait donc aux femmes d'être de bonnes épouses, de bonnes mères de famille (nombreuse si possible), d'être soumises et discrètes et bien sûr de rester à la maison (mais, soit dit entre parenthèses, cette vision de la femme n'est pas le propre du fascisme !). C'est ce que le psychiatre conseille à Ida de faire semblant d'être et par la même occasion il lui suggère de faire semblant aussi de se rapprocher de Dieu par l'intermédiaire de la mère supérieure de l'hôpital. Mais Ida, bien que détruite par sa passion pour Mussolini, est et reste dans le fond une anticonformiste, une femme indépendante, une rebelle, plus violente que douce à mon avis. Elle se bat pour se faire reconnaître. Or les dictatures ne supportent pas la moindre marque de rébellion. Que reste-t-il donc aux femmes qui ne peuvent pas faire semblant ? Le fanatisme ! L'abandon de toute velléité de pensée critique, l'acceptation de sa servitude et l'adoration du maître-Dieu. Il y a dans le film des moments savoureux, le défi à Dieu lancé par le Mussolini jeune, et l'adoration que lui voue une religieuse… celle d'une amante laisse-t-elle échapper ! Passion démesurée et destructrice, fanatisme… nous voilà arrivés dans le monde de la folie. Ida est enfermée dans des hôpitaux psychiatriques, prisons plus qu'hôpitaux car leur but n'est pas de soigner la douleur mais de la faire taire.

L'image la plus forte de la folie pourtant n'est pas dans l'hôpital des fous. N'est-elle pas lorsque nous voyons cette bouche de Mussolini en train d'haranguer la foule, ce tic ridicule de la lèvre qui se soulève à tel point que, si nous ne savions pas nous trouver en présence d'une image d'archives, nous penserions que l'acteur a outré un peu trop son jeu ! Lorsque le fils imite le père dans la séquence suivante, lorsqu'il déforme son visage à en devenir monstrueux, c'est bien le visage du fascisme qui nous apparaît alors dans toute son horreur.

Le 8 novembre 2009

Nadine Floury

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