Le film tiré du livre du même nom et du même auteur, qui avait
déjà écrit « La chambre des officiers », est consacré aux
derniers jours de Staline.
Il se déroule au moment du prétendu « complot des blouses blanches » de
la fin 1952 à la mort du dictateur en mars 1953.
Des médecins (majoritairement juifs) sont accusés d'avoir empoisonné deux
dirigeants du Parti Communiste dont Jdanov un des successeurs potentiels de Staline.
Plusieurs centaines de médecins et pharmaciens sont alors emprisonnés,
torturés, déportés au Goulag en même temps qu'est lancée une
campagne antisémite. En fait dans sa paranoïa, Staline écarte tous ses
successeurs potentiels et se méfie de tous ses proches. C'est lui qui a déjà
fait assassiné Jdanov et il essaie, en montant ce prétendu complot, d'écarter
le chef des services secrets Béria, second personnage de l'Union soviétique à
ce moment et qui avait accompli le pire pour Staline notamment dans les années 1930 et les
Procès de Moscou où plus de 700 000 personnes furent exécutées dont
toute la vieille garde du Parti Communiste qui avait fait la révolution de 1917.
Depuis le début des années 1950, Staline soupçonne Béria de vouloir lui
nuire. Un « complot » dont Beria ignorerait l'existence donnerait un bon
prétexte à Staline pour l'accuser d'incompétence et l'écarter du
pouvoir.
Mais en plus du contexte des derniers jours d'un régime sombrant dans la folie, il y a autre
chose, le soit-disant « complot titiste ». La guerre froide commencée en 1947,
le plan Marshall et son attrait sur les pays de l'Est, l'autonomie prise par la Yougoslavie de
Tito, font craindre à Staline un éclatement du glacis des pays de l'Est. En novembre
1952, sont organisés les procès de Prague où 14 cadres du Parti Communiste
Tchécoslovaque dont 11 juifs sont condamnés à mort, soupçonnés
d'avoir organisé un « complot titiste ». Parmi eux, Rudolf Slansky et un
survivant, Artur London, dont les mémoires serviront à la réalisation du film
« L'aveu » de Costa-Gavras, en 1970 où Yves Montand joua le rôle
principal. A la même période une violente campagne de propagande antisémite se
met en place dans le Bloc de l'Est et dans la plupart des Partis communistes du monde.
Pendant la deuxième guerre mondiale, en 1942, un Comité juif antifasciste avait
été créé en URSS, comprenant d'éminentes personnalités
juives et éditait le journal Einigkeit (« Unité »),
pour pousser le gouvernement américain à entrer au plus vite en guerre contre
l'Allemagne au nom de la solidarité juive contre l'antisémitisme nazi.
Puis après la guerre, le Kremlin espère rallier Israël. Ces espoirs se dissipent
peu à peu dès la fin des années 40 et le début des années 1950.
Le Comité juif antifasciste est dissous fin 1948, son journal interdit, son dirigeant
tué dans un "accident" de voiture. Une campagne antisémite est lancée à
partir de 1949, les membres du comité sont arrêtés, torturés et tous
discrètement fusillés en août 1952. C'est en novembre que commence le
procès des médecins. Il faut dire que le Comité juif antifasciste regroupait
tout un milieu intellectuel et culturel que Staline craignait.
Enfin, Staline en voulait tout particulièrement aux médecins, dont certains en 1938
avaient osé diagnostiqué sa paranoïa et s'en étaient ouverts à des
dirigeants du parti.
Le 1er mars 1953, Staline meurt d'une
hémorragie cérébrale. Béria fut élu vice-président et fit
mettre fin à l'affaire des médecins. Le 4 avril, un communiqué annonça
que le complot des médecins n'avait jamais existé et que ces derniers étaient
désormais réhabilités. Des dizaines de prisonniers furent amnistiés.
Béria fut exécuté d'une balle dans la tête dans sa cellule le 23
décembre 1953 par ses concurrents Malenkov et Krouchtchev.
En France, le PCF s'illustra malheureusement dans cette affaire en faisant reprendre à son
compte les mêmes calomnies par ses intellectuels, médecins et étudiants en
médecine. Habitués aux dénonciations calomnieuses, bien des militants
s'inclinèrent puisqu'à partir de janvier 1953, des listes ont circulé dans les
hôpitaux pour affirmer sa solidarité avec la direction soviétique.
L'académicienne Annie Kriegel, les dirigeants Auguste Lecoeur, Boris Souvarine et bien
d'autres participèrent à cette campagne. Lorsque quelques mois plus tard, à la
mort de Staline et l'annonce du mensonge, certains des médecins français qui avaient
participé à la campagne furent moralement et psychologiquement brisés et
sombrèrent dans la dépression.
Le film fait se rencontrer la « grande » histoire, bien réelle
avec la « petite » histoire personnelle et imaginée d'Anna. Celle-ci,
médecin urologue dans un hôpital de Moscou est aussi « magnétiseur
». Ses mains ont le pouvoir de soigner et sa réputation dépasse sa salle
d'attente toujours emplie de malheureux en quête d'un soulagement que la médecine
officielle n'arrive pas à leur donner. Staline n'a plus de médecin personnel
puisqu'un des médecins inculpé dans le procès des blouses blanches et
déporté au goulag est son médecin personnel. La réputation d'Anna est
venue jusqu'à lui et il lui demande de remplacer son médecin personnel et de le
soulager des intenses migraines et douleurs rhumatismales qu'il ressent.
Mais l'affaire des blouses blanches a commencé par Lidia Timachouk, médecin
radiologue affectée à l'hôpital du Kremlin et collaboratrice des services de
sécurité, qui avait dénoncé ses collègues pour mauvaise pratique
de la médecine « scientifique ».
Staline craint que son utilisation d'un « magnétiseur » ne soit utilisée
par ses adversaires. Pour que cela ne se sache pas, il fait arrêter, torturer et
déporter le mari et les proches d'Anna.
À partir de là s'installe une relation du chat et la souris entre la jeune femme et
le dictateur, faite de confidences intimes et amicales du maître du Kremlin, de ses peurs et
faiblesses, mais aussi de manipulations perverses et brutales où la jeune femme risque sa
vie et celle de son mari à tout instant.
À l'hôpital où travaille Anna, où tout le monde épie et
dénonce tout le monde, ses absences inexpliquées et accompagnées des services
secrets, font monter la tension. Chacun, en fonction de son caractère, tente d'exploiter la
situation à son profit ou, au contraire, montre son courage ou, plus souvent, comment ils
essaient de s'en débrouiller.
Anna, pour sauver son mari, rompt avec lui alors que celui-ci ne vit que par l'amour qu'il
éprouve pour elle, qui, dans cette société folle, est le seul espace de
liberté. Lui qui refuse de penser pour ne pas sombrer dans la folie préfère
alors rejoindre ses parents assassinés plutôt que de mourir de désespoir. La
mort du dictateur les sauvera.
Le film ne montre quasiment aucune scène de violence. Mais l'intense terreur qui empoisonne
tous les esprits est encore plus terrifiante. Ainsi elle dérègle toutes les relations
humaines au point où le concierge de l'immeuble d'Anna la menace (ou prévient) d'une
plainte déposée contre elle par ses voisins parce que ses cris de jouissance sexuelle
ne sont pas conformes.
Les décors aux couleurs grises et sépias en rajoutent à cette
atmosphère étouffante où un système qui s'est haussé sur la
volonté du peuple à révolutionner la société n'arrête pas
de lui faire payer les jours où il a aspiré à ébranler le monde.
Le 27 janvier 2011
Jacques Chastaing
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