Lydie Salvayre nous embarque dans un voyage organisé d'un genre un peu
particulier. Il faut s'accrocher aux premières pages et ensuite, c'est parti !
L'agence de tourisme Real Voyage propose un circuit des banlieues les plus pauvres et les plus sordides
d'Europe de l'Ouest. Un groupe de bourgeois et petits-bourgeois qui en ont soupé du tourisme
conventionnel, se lancent dans un périple de huit jours pour découvrir la vraie vie des
pauvres. Frissons garantis. L'accompagnateur est un ancien séminariste qui connaît son sujet
à la perfection. Pour pimenter le voyage, il est flanqué d'un agent d'ambiance, Jason,
genre petit caïd de banlieue, avec une tchatche mortellement efficace et une rage qui lui monte
rapidement à la tête. Les touristes ne vont pas être à la noce, avec leurs bons
sentiments, leurs préjugés réactionnaires ou pseudo-progressistes sur le monde des
pauvres et les causes de la pauvreté. Sur ce dernier point, voici une digression facétieuse de
l'auteur : « Aux dernières nouvelles, le coupable serait le Marché. Qui gouverne
à sa guise. Ce qui complique bien les choses Car on n'a pas encore appris à se dresser
contre lui . Autrement qu'avec de grands mots. Mais le Marché se fout des grands mots. Il n'a
pas l'esprit poétique. » (page 50).
Face à la « réalité vraie », nos touristes ont beau « vouloir
comprendre » et s'apitoyer avec délectation, il y a des limites qui vont être
allègrement pulvérisées.
L'échantillon choisit par l'auteur est désopilant. Trois personnages sont
particulièrement « soignés » : Lafeuillade, un entrepreneur cynique et vulgaire qui
a, comme le pense Jason, « cet inaltérable optimisme qui est la marque des grands
salauds » ; Flauchet, un écrivain prétentieux en mal d'inspiration
(« croit stupidement qu'à coups de mots extorqués et de vies extorqués il
saura extorquer à la Littérature son mystère ) ; Mlle Faulkircher, journaliste dans
un magazine glamour, « avide de créations nouvelles, d'absurdités nouvelles et de
crétineries renouvelées, si je peux vous parler, lecteur, sans ambages. »
L'auteur participe au voyage en nous faisant ses commentaires en permanence avec beaucoup d'esprit
critique et aucune distance. Son ironie à l'égard de ces « belles âmes »
est ravageuse. Elle ne cache pas sa sympathie pour des gens comme le chauffeur, un prolo sans histoires, ou
pour l'accompagnateur dont elle se moque gentiment (« Quel ringard !]...] il a la
mentalité salvatrice du siècle dernier [le 20e !]. Il n'a pas fini de
morfler. ») Elle a une tendresse particulière pour Olympe dont la faiblesse et la
timidité de victime la désespèrent. Olympe est une jeune métisse de banlieue
travaillant dans un pressing. Elle a été embarquée dans cette excursion par la
volonté charitable des touristes préférant voyager à quatorze qu'à
treize.
Ce petit roman extrêmement drôle est écrit au vitriol. Il fait table rase de toutes les
hypocrisies des nantis face à l'injustice et à la misère qui règnent dans les
cités dites « sensibles ».
Le 24 septembre 2003
Samuel Holder
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