Cette histoire tonique et émouvante se passe à Los Angeles
au milieu des années quatre-vingt-dix. Elle s'inspire d'une lutte qui a
réellement eu lieu, celle d'employés préposés au
nettoyage des grands buildings. Ils ont lutté pour arracher le droit
d'être syndiqués, d'avoir une assurance maladie et une augmentation
de salaires. Le scénariste Paul Laverty vit à Los Angeles depuis des
années. Il a suivi la mobilisation de ces travailleurs originaires
d'Amérique centrale pour la plupart. Il l'a fait avec un
intérêt passionné, celui qui donne le sens des faits et des
détails importants.
Tout d'abord les héros de ce film sont avant tout des héroïnes,
des ouvrières, des femmes venues du Mexique, du Guatemala, de la Jamaïque, du
Salvador ou de Russie pour trouver un moyen de nourrir leur famille. Passer
clandestinement la frontière, échapper aux arnaques des passeurs, trouver
un emploi, autant de combats qui exigent détermination personnelle mais aussi
solidarité de ses proches, dans sa famille ou parmi ses collègues. Il faut
voir avec quel humour une collègue noire de la jeune mexicaine Maya lui explique
comment passer l'aspirateur sans trop s'épuiser dans ces kilomètres
de pièces et de couloirs.
Pour nourrir une famille, payer un loyer, soigner un mari diabétique, il faut se
battre pour chaque dollar, il faut avoir encaissé l'exploitation sous toutes
ses formes comme l'a fait Rosa, la sur de Maya. Toutes ces difficultés
ainsi que les pressions des chefs et leur chantage permanent au licenciement ne
conduisent pas royalement à " la prise de conscience collective ",
" au coup de colère " qui entraîne tout le monde dans la
grève comme un seul homme. C'est beaucoup plus complexe, contradictoire et
subtil que cela. C'est un des mérites du film de nous le faire ressentir, sans
aucun schématisme.
Il ne suffit donc pas qu'un jeune, sympathique et plein d'astuce, appointé
par la machine syndicale de l'AFL-CIO, débarque avec un topo bien carré
pour que tous les employés de l'entreprise de nettoyage aient envie de lutter
pour imposer leurs revendications. D'autant plus que ce jeune plein d'allant
commet d'emblée une bourde qui facilite le licenciement de plusieurs
employées. Mais au moins, il n'en reste pas là. Il veut
sincèrement que les travailleurs gagnent ; il ne se laisse pas intimider par les
chefs, les flics ou son supérieur hiérarchique qui le menace de le
licencier du syndicat s'il " en fait trop ".
Quand la lutte s'engage, d'autres difficultés surgissent mais aussi des
sentiments qui peuvent enfin s'extérioriser : pas tant la colère que la
joie et la fierté de ne plus être soumis, la perception commune du courage
d'une somme d'individus, femmes et hommes, jeunes et vieux, qui vont faire
céder les patrons.
Elle a l'air toute petite la manif des grévistes en marche vers un grand
building de Los Angeles. Mais c'est une séquence simple et belle,
particulièrement évocatrice de ce qu'est la force sociale des
travailleuses et des travailleurs. Et puis il ne faut pas oublier que, non seulement ils
y font le nettoyage, mais que ce sont eux aussi qui construisent les gratte ciel.
" Bread and Roses ", " du Pain et des Roses " : c'est un vieux
slogan, une vieille aspiration du mouvement ouvrier qui garde toute son actualité
et qui prendra forme au XXIe siècle, à défaut de
s'être réalisée au XXe siècle.
Le 12 novembre 2000
Samuel Holder