Depuis qu'Otar est parti...

Film de Julie Bertucelli

Avec Esther Gorintin (Eka), Nino Khomassouridze (Marina), Dinara Droukarova (Ada) et Temour Kalandadze (Tenguiz)
2003, 102 minutes

L'écrivain russe Anton Tchekhov a écrit à un ami : « Dans la vie, il n'y a pas d'effets, ni de sujets bien tranchés ; tout y est mêlé, le profond et le mesquin, le tragique et le ridicule. ». Ce premier film de fiction de Julie Bertucelli a une tonalité qui s'apparente à celle du théâtre de Tchekhov.

Une grand-mère, sa fille et sa petite-fille vivent ensemble à Tbilissi, capitale de la Géorgie. Un pays aujourd'hui très délabré, comme toutes les anciennes composantes de l'URSS, mais qui a gardé quelques beautés.

La grand-mère Eka est ce qu'on appelle communément « une forte femme ». Cela signifie en l'occurrence un caractère impérieux et un attachement sentimental sans limites pour Otar, le fils préféré qui est parti à Paris tenter sa chance comme immigré clandestin. Les bouleversements qui ont entraîné l'écroulement de l'URSS n'ont pas entamé d'un iota les convictions staliniennes de cette vieille dame ni son attachement à la culture française matérialisée dans sa demeure par la présence de nombreux livres précieux.

Sa fille Marina est une quinquagénaire. Comme son compagnon Tenguiz, elle fait partie d'une génération flouée sur toute la ligne, entre les mensonges insupportables du stalinisme sénile puis défunt, et ceux tout aussi insupportables et arrogants du capitalisme mafieux. Marina se démène et se dévoue pour sa mère et sa fille dans une ville où une coupure d'eau se produit toujours lorsqu'on se savonne sous sa douche, où la nourriture n'est pas rare mais très chère, où les queues dans les bureaux sont toujours aussi longues et pénibles qu'avant. Agacement et amertume sont le lot quotidien de cette femme sensible, à vif. Car sa mère la dédaigne, elle n'en a que pour Otar, elle ne vit que pour ses lettres et ses coups de téléphone. Eka n'attend plus la victoire du stalinisme mais des nouvelles d'Otar, de sa vie forcément merveilleuse dans la capitale d'un pays impérialiste !

Ada, la fille de Marina et la nièce d'Otar subit cette relation pénible mère-fille avec lucidité. Elle ne se départit pas de son affection pour sa mère et sa grand-mère mais elle veut vivre. Elle ne tient pas à s'enfermer dans cette prison psychologique, dans ces liens paralysants qui tissent bien souvent les relations familiales entre les êtres, pas seulement à Tbilissi...

Quand Marina apprend le décès de son frère Otar, elle n'ose pas l'annoncer à la vieille dame. « Ce serait un choc dont elle ne se remettrait pas ». C'est avec des supputations de cette sorte que les mensonges s'installent, qu'on les perpétue vaille que vaille et qu'ils gâchent la vie des gens. Bien inutilement.

Douceur, ironie, retenue, sens aigu de l'observation, telles sont les qualités de ce film interprété par trois actrices remarquables.

25 octobre 2003

Samuel Holder

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