Ce roman noir comprend quelques ingrédients classiques : un
suspense intense, du whisky qui coule à gogo, des flics privés, une jeune
femme rousse très séduisante, etc. Mais cette histoire n'est pas classique.
La dédicace déjà est originale : Aux travailleurs du
monde.
L'action embraye brièvement en 1951 au moment où le maccarthysme et la
guerre de Corée battent leur plein. Mais ensuite l'essentiel de ce roman se situe
au cours de l'été 1917 à Butte, la cité des mines de cuivre
dans le Montana.
1917 maintenant ! Ce Jon A. Jackson a décidément l'intention de
décoiffer à outrance tous ceux qui ne veulent plus entendre parler ni de
1917 ni des travailleurs (« circulez, y a plus que des citoyens ! »). Non,
l'auteur ne manque pas d'audace et son histoire est vraie, une fiction rondement
menée et basée sur des faits authentiques. Examinons un peu le contexte
avant de laisser chacun découvrir l'intrigue.
Le mouvement des I.W.W. (Industrial Workers of the World) a été
créé en 1905 aux États-Unis. Ses militants, communément
surnommés les wobblies, étaient des syndicalistes révolutionnaires
prêts à organiser tous les travailleurs quel que soit leur métier,
leur origine ou la couleur de leur peau. Certains écrivaient des chansons, comme
Joe Hill, assassiné « légalement » en 1915.
Dans « Où va le peuple américain ? » (Julliard 1950), Daniel
Guérin écrit page 134 : « En 1917, les I.W.W. atteignirent leur
apogée, au moins quant au nombre des adhérents. En un an, ils
étaient passés de 40 000 à 100 000. Mais l'entrée en guerre
des États-Unis déchaîna contre eux une féroce
répression. Toutes les forces conjointes du capitalisme, des pouvoirs publics, des
anciens combattants utilisés comme milices fascistes, furent employées
à les écraser. »
Parmi les saboteurs et briseurs de grève se trouvait la fameuse agence de
détectives Pinkerton. Les wobblies formaient des équipes volantes toujours
prêtes à aller sur place aider des travailleurs à s'organiser,
à faire grève et à emporter le morceau face aux gros bonnets de
l'industrie. Inévitablement des « Pinks » étaient
envoyés pour les infiltrer, les espionner et préparer des traquenards
contre ces militants.
Cette histoire commence donc chronologiquement en juillet 1917 après
l'entrée en guerre en Europe des États-Unis et avec l'arrivée dans
le Montana du jeune Goodwin Ryder, agent Pinkerton sans expérience. Sa mission de
briseur de grève consiste à tisser des liens amicaux avec le leader de la
grève des mineurs, Franck Little. Ce militant sympathique a perdu un œil et
s'est fait durement amocher au cours de plusieurs luttes. Mais son endurance et ses
convictions ne sont pas entamées d'une miette. Et c'est un orateur hors pair qui
part du base-ball pour en arriver à la Révolution. Les mineurs ne
comprennent pas très bien pourquoi il en a plein la vue des Russes mais pour le
reste, ils ont une confiance totale dans « ce type bien ». Pas
facile de trahir un homme comme ça sans prendre des risques pour
soi-même.
Le 3 novembre 2001
Samuel Holder
Précisons que Franck Little, en partie d'origine indienne
Cherokee, a réellement existé. Il avait l'habitude de dire à ses
camarades pour plaisanter qu'il était le seul « vrai
Américain » des I.W.W.
Quant à Goodwin Ryder, il n'est pas sans ressembler à un certain Dashiell
Hammett, devenu à partir de 1929 le fameux auteur de romans noirs
dénonçant la corruption de la société américaine
(La Moisson rouge, La Clé de verre, Le Faucon maltais, etc.).