Le musicien Jimi Hendrix est mort à
l'âge de 27 ans, il y a trente ans. Il n'était pas tombé dans
l'oubli mais avec cet anniversaire, la comète Hendrix est de retour, brillant
de feux tout aussi étranges aujourd'hui que lors de son dernier passage.
Ce guitariste et chanteur noir américain, né à Seattle en 1942,
avait tous les talents pour être un de ces grands artistes de la scène du
blues moderne tels que Muddy Waters, Buddy Guy ou
B.B. King. Il en fut autrement.
L'esprit du blues habite toute son uvre et l'étoffe de sa voix aux
accents voilés ou rageurs est celle d'un chanteur de blues. Mais il peut tout
aussi bien être considéré comme un musicien de blues, de rock que de
jazz. De son vivant ses disques étaient rangés dans la catégorie pop
music. C'est ainsi qu'on appelait, surtout en Europe, les artistes qui
mêlaient dans leur musique de multiples influences, le rock, le folk song, le
blues, la soul music ou les expérimentations électroniques. Jimy Hendrix
apparaît comme celui qui a réussi à opérer la synthèse
de tous ces éléments pour créer une uvre très
originale.
Il ne suffit pas de vouloir innover ou de s'ouvrir à d'autres influences
pour produire une musique convaincante. Abolir les frontières entre les styles a
pu aboutir parfois à une purée de sons indigeste. Mais la musique de Jimi
Hendrix, à la beauté bizarre, violente et époustouflante, constitue
une réussite exceptionnelle qui a d'ailleurs inspirée de nombreux
musiciens après sa mort et encore aujourd'hui, sur de nouvelles bases.
Le moment où divers courants tels que le blues, le folk song, la soul music et le
jazz parvinrent à se mêler ou à s'influencer mutuellement avec
bonheur correspond à des circonstances historiques, politiques et sociales
particulières.
La révolte dans les années soixante et au début des années
soixante-dix d'une partie de la jeunesse battait son plein contre la guerre du
Vietnam, la discrimination raciale et toutes les injustices et tabous sociaux. Elle avait
trouvé son expression musicale aussi bien chez des chanteurs (Bob Dylan,
Judy Collins, Joan Baez, Tom Paxton, Janis Joplin, etc), chez différents
groupes anglais et américains de rock ou de pop music que chez des musiciens de
jazz (Max Roach, Charlie Mingus, etc) ou de free jazz (Archie
Shepp, Clifford Thornton, Charlie Haden, etc).
Hendrix lui-même s'était refusé à toute forme
d'engagement politique mais il est symptomatique qu'au cours de sa prestation au
festival de Woodstock, il ait massacré sur sa guitare l'hymne national des
Etats-Unis en l'entrelardant de bruits évoquant les bombardements
américains sur le Vietnam. Mais l'esprit de subversion et la quête
éperdue de nouvelles formes d'expression se trouvent avant tout dans sa
musique.
Jimi Hendrix et le saxophoniste de jazz Albert Ayler
sont morts l'un et l'autre en 1970. Quelques années plus tard, la
poésie âpre ou tendre ainsi que la créativité mélodique
ou sonore qui avaient marqué leur époque, s'étaient en grande
partie évaporées. Le mouvement de contestation de la jeunesse était
sur son déclin. Les luttes des Noirs américains étaient
brisées ou étouffées. Le show business qui n'avait
évidemment jamais cessé d'exercer sa pression empocha les royalties du
jazz rock, du hard rock, de la punk music ou du disco. Et il maintint en marge les autres
musiciens.
Le regain d'intérêt pour Hendrix pourrait être un signe parmi bien
d'autres qu'une période faste se confirme pour des formes nouvelles de
création musicale susceptibles d'être appréciée par un
large public.
Parmi les disques importants de Jimi Hendrix, nous signalerons "
Electric Ladyland " et " Band of
Gypsys ". Pour des informations abondantes et quelques
témoignages de musiciens, on lira le dossier du numéro de septembre [2000]
de " Jazz Magazine " qui lui est consacré. Il existe sur
Hendrix deux livres facilement disponibles en librairie : " Jimi Hendrix, vie et
légende " par Charles Shaar Murray (Points Seuil) et
" Jimi Hendrix " d'Olivier Nuc (Librio
Musique).
Le 18 septembre 2000
Samuel Holder