Ça ira mieux demain

Film de Jeanne Labrune

Certains d'entre nous ont trouvé ce film drôle par moments mais ne sonnant pas toujours très juste. D'autres l'ont trouvé franchement drôle et corrosif juste à point. Nous nous accordons tous sur le fait que Jean-Pierre Darroussin et Nathalie Baye sont excellents. Vous vous ferez votre opinion. L'intérêt et l'intensité du rire que peut provoquer une comédie se constatent mais ne se discutent pas.

Il serait tentant d'aborder cette histoire sous l'angle psychologique car ici, presque tout le monde est embarqué dans des relations conflictuelles qui alimentent une frustration sans fin. Là où la réalisatrice n'est pas très gentille avec ce film satirique sans prétentions, c'est qu'elle amène les spectateurs à se demander si, par hasard, ils ne seraient pas eux-mêmes, dans la vie quotidienne, un tout petit peu névro et/ou parano.

Mais il est temps d'aborder le sujet sous un angle délibérément social pour avoir la distance qui s'impose. Le malaise de la moyenne bourgeoisie parisienne s'étale sur l'écran, avec en toile de fond l'infra monde qu'elle est amenée à fréquenter, celui des vendeurs, des caissières, des serveurs et des serveuses. Mais chez les gens qui résident dans des appartements cossus, ce ne sont pas les fins de mois qui sont difficiles ni le risque de perdre son emploi. Il n'empêche que pour eux, tout est matière à stress quand même.

Une commode recouverte de marqueterie pose un problème dont les RMistes n'ont pas idée. Elle gène Elisabeth pour passer dans son couloir. Que faire ? La démonter et la ranger à la cave ? Oui mais, si on l'emballe dans du plastique, le bois ça respire et ça transpire. La précieuse commode peut se dégrader à la longue, ce qui serait d'autant plus terrible qu'elle est le témoignage sacré de l'héritage familial. Autant la donner pour nouer une relation amicale, disons plutôt pour vampiriser cette femme de psychanalyste rencontrée par hasard dans un super marché.

Le mécanisme de cette chronique est lancé. Son ressort le plus efficace sur le plan comique est le fait que le psychanalyste (Jean-Pierre Daroussin) a décidé d'être aussi ostéopathe. La psychanalyse est désormais trop dévaluée et ne rapporte pas assez. Donc notre thérapeute, avec son flegme qui n'est qu'apparent, s'occupe de tout : pour les douleurs de l'âme, c'est le cabinet de gauche, et pour celles du corps, c'est le cabinet de droite où il est kiné sous un pseudonyme. L'ennui étant que des patients récusent à leur manière le clivage corps/esprit. Ils voudraient être soignés pour leur mal de dos quand ils sont sur le divan du psychanalyse et d'autres racontent les joies et les traumatismes de leur enfance quand ils sont sur la table du kiné. La gestion du timing est d'autant plus délicate que les relations du psychanalyste avec sa femme, constamment sous pression, donnant l'impression de fumer deux cigarettes à la fois, sont faites de clashs à répétition entrecoupés de brèves et infructueuses démarches réparatrices. Notre psychanalyste qui diagnostique à jet continu en toutes circonstances semble singulièrement désemparé devant l'angoisse de sa femme. Selon le vieil adage, le cordonnier est toujours le plus mal chaussé.

Signalons le rôle du téléphone et en particulier du portable qui apparaît comme une prothèse mentale, indispensable pour être relié aux autres (aux dépens de ceux qu'on a en face de soi). Quand il sonne, il est soit un fétiche bienfaisant pour échapper à une situation pénible ou sans issue, soit un fétiche malfaisant brisant une situation prometteuse.

Si vous réussissez à voir ce film drôle et un peu grinçant sans entendre la sonnerie d'un portable dans la salle, tenez-vous pour heureux. Car de ce côté-là, ça sera pire demain...

Le 1er décembre 2000

Samuel Holder

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