Elle n’est vraiment pas bien grande l’île d’Antigua située au
nord de la Guadeloupe : 280 km2. Mais toute chose essentielle peut s’y produire : de
l’amour, du manque d’amour, de la haine, de l’indifférence, de l’injustice et
la mort bien sûr, inévitable, inattendue et répétitive comme les mouvements de la
mer. Antigua est un lieu sans issue pour personne. On y rumine des nostalgies et on y conçoit des
désespoirs. Le Dr. Weizenger est un exilé amer, détestant tous les habitants de ce
cul-de-sac du monde. Il a été arraché à son coin d’Europe cultivée,
Prague, à cause de la barbarie des nazis. Mr. Schoul est un marchand prospère en tissus et
quincaillerie, ce qui ne comble pas l’absence de son pays d’origine adoré, le Liban.
Il y a la misère et le néant d’une vie de labeur des natifs d’Antigua. Celle du
pêcheur Nathaniel Potter qui ne savait ni lire ni écrire et dont les filets ramenés sur
sa barque ont fini un jour par être vides. Quitter l’île, c’est éventuellement
aller vers la mort comme le fera Elfira Robinson, la femme délaissée qui eut un seul enfant de
Nathaniel Potter, Roderick Potter.
Ce Potter-là sera nommé de bout en bout Mr. Potter. Il est donc orphelin. Personne ne l’a
jamais aimé et il n’a donc pas l’idée d’aimer qui que ce soit. Il sera un des
chauffeurs de Mr. Shoul. Mr. Potter est « indifférent à la turbulence du
monde ». Mr. Potter a eu de nombreux enfants, uniquement des filles, avec diverses femmes. Il
finit par amasser un joli magot mais il était éternellement « barré » : de
père inconnu administrativement et de mère suicidée. Il n’apprendra jamais
à lire et à écrire.
Contrairement à l’auteure, Jamaica Kincaid, qui est née à Antigua et a eu cette
chance d’apprendre à lire et ce bonheur de savoir écrire. Elle a pu ainsi enquêter
sur la vie de Mr. Potter, né en 1922 et mort en 1992 et qu’elle n’a pas connu. Elle a
imaginé ce que fut cet homme « sans importance » mais terriblement singulier pour elle
puisqu’il s’agit de son propre père. Elle cerne les contours d’un trou, d’une
béance concernant sa propre vie. Elle touche au plus près les racines d’une blessure
transmise par sa mère, elle qui repoussa définitivement Mr. Potter avant même la
naissance de sa fille qui choisit de s’appeler Jamaica Kincaid.
La romancière a utilisé un style qui évolue au cours de sa quête, d’abord
faussement simple et objectif, puis doucement envoûtant comme une comptine qui serait obsessionnelle et
tragique.
Le 30 mars 2005
Samuel Holder
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