Ce roman a quelque chose de beau et d'implacable. Son auteur, Jamaica Kincaid vit aux
États-Unis. Elle est originaire d'Antigua, une des petites îles des Antilles anglophones. Il
en va de même pour son héroïne qui a quitté son île natale pour travailler au
pair dans une famille aisée de New York. Lucy a dix-neuf ans lorsqu'elle découvre un pays
qui a des saisons violemment contrastées. La jeune Antillaise qui s'est arrachée à
sa famille et à l'étroitesse de son île n'a pas envie pour autant
d'adhérer aux codes, aux goûts et aux sentiments de cette famille « ouverte » et
affectueuse. Elle analyse froidement ce monde nouveau : « Ils me disaient de les considérer
comme ma famille, de faire comme chez moi. Je les croyais sincères, car je savais qu'ils ne
diraient pas cela à un véritable membre de leur famille. Après tout, la famille, est-ce
que ce ne sont pas les gens qui deviennent des pierres autour de votre cou ? »
Lucy casse systématiquement tous les moules conformistes dans lesquels elle serait sensée
vivoter : la jeune fille au pair chaleureuse, ravie de découvrir une société où
il faut toujours « positiver » ; avec en prime l'image de l'émigrée qui a
réussi, tout en étant fière de ses origines indiennes et africaines et qui reste bien
sûr indéfectiblement attachée à sa mère… Tout cela est mis en
pièces ici avec rage.
Lucy est autre, différente, unique. Son passé dans l'île ne lui évoque
qu'un cauchemar avec lequel il faut rompre définitivement. Son présent américain la
met face à des tentatives sirupeuses ou sournoises de la « normaliser ». Sa liberté
ne peut se construire que dans le refus des clichés et du retour à la case départ, au
prix d'une grande violence intérieure. Mais comment s'émanciper aussi du ressentiment
et de la solitude ? Les dernières pages le révéleront.
Le 7 août 2002
Samuel Holder
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