L'autre pays

d'Ibrahim Abdel-Méguid

Éditions Actes Sud (1994)
Roman, 304 pages

" L'autre pays ", c'est l'Arabie saoudite qui, grâce à ses revenus pétroliers, attire une foule d'immigrés venant de tout le Moyen-Orient et d'une bonne partie de l'Asie. L'écrivain égyptien Abdel-Méguid nous fait partager l'expérience de l'un d'eux, Ismaïl, un professeur égyptien d'une trentaine d'années.

Débarqué en 1978, à Tarouk une ville du Nord-Ouest où il doit s'occuper de la gestion du personnel dans une petite société, il y côtoie surtout des étrangers comme lui. Mais tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Les emplois bien rémunérés reviennent plutôt aux Égyptiens. Les emplois de chauffeurs, agents d'entretien ou mécaniciens sont tenus par des Pakistanais, des Sri Lankais, des Thaïlandais, des Jordaniens ou des Yéménites. Chaque immigré sait qu'il n'est que de passage. On ne cherche pas trop à se faire des amis ni des ennemis. On oublie vite les faits et les gens dans la mesure où on se replie sur son rêve de retourner s'établir dans son pays d'origine.

Ismaïl s'enlise rapidement dans sa nouvelle vie médiocre et routinière. A priori il ne s'intéresse pas aux questions politiques et sociales. Pas facile. On le harcèle pour qu'il prenne position contre Sadate, ce chef d'État égyptien " traître à la cause arabe " qui s'est rendu à Jérusalem pour préparer une paix séparée avec Israël. On s'étonne qu'il ne fasse pas le pèlerinage auquel participe toute la population.

Partout la barbarie du royaume saoudien saute aux yeux. La loi islamique s'applique dans la rue, à l'hôpital et même chez soi quand des policiers viennent vous embarquer parce que vous consommez de l'alcool. Ceux qui ne respectent pas le jeûne islamique sont flagellés à la fin du Ramadan et conduits à l'hôpital le corps ensanglanté. Les membres d'une milice musulmane circulent dans les rues, le nerf de bœuf à la main, pour obliger les passants à se rendre à la prière. Un policier exhibe une lycéenne en pleine rue et dénonce au porte-voix sa " mauvaise conduite " parce qu'elle s'est promenée avec un Yéménite, condamné pour cela à trois mois de prison.

Il y a aussi tout ce qu'Ismaël n'a pas vu mais dont on lui a parlé avec désinvolture : la lapidation des femmes dites adultères et la décapitation par le sabre des condamnés à mort.

On ne fait qu'entrevoir le monde des grands profiteurs dont les revenus sont protégés par la dictature des émirs. L'un d'eux est un homme d'affaires américain qui pratique impunément l'escroquerie à l'assurance sur des marchandises inexistantes.

Sans effets appuyés, ce roman se lit d'une traite. Ce tableau de l'oppression et de la terreur quotidiennes en Arabie saoudite ne peut que provoquer l'indignation des lecteurs.

Depuis la société n'a pas changé. Mais l'an dernier, le régime saoudien qui ambitionne de faire partie de l'Organisation Mondiale du Commerce, a été félicité par le FMI pour ses " réformes " économiques qui facilitent encore plus la pénétration des capitaux occidentaux.

Le 8 mars 2001

Samuel Holder

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