" L'autre pays ", c'est l'Arabie saoudite qui, grâce
à ses revenus pétroliers, attire une foule d'immigrés venant de tout le
Moyen-Orient et d'une bonne partie de l'Asie. L'écrivain égyptien
Abdel-Méguid nous fait partager l'expérience de l'un d'eux, Ismaïl,
un professeur égyptien d'une trentaine d'années.
Débarqué en 1978, à Tarouk une ville du Nord-Ouest où il doit
s'occuper de la gestion du personnel dans une petite société, il y côtoie
surtout des étrangers comme lui. Mais tout le monde n'est pas logé à la
même enseigne. Les emplois bien rémunérés reviennent plutôt aux
Égyptiens. Les emplois de chauffeurs, agents d'entretien ou mécaniciens sont
tenus par des Pakistanais, des Sri Lankais, des Thaïlandais, des Jordaniens ou des
Yéménites. Chaque immigré sait qu'il n'est que de passage. On ne
cherche pas trop à se faire des amis ni des ennemis. On oublie vite les faits et les gens
dans la mesure où on se replie sur son rêve de retourner s'établir dans son
pays d'origine.
Ismaïl s'enlise rapidement dans sa nouvelle vie médiocre et routinière. A
priori il ne s'intéresse pas aux questions politiques et sociales. Pas facile. On le
harcèle pour qu'il prenne position contre Sadate, ce chef d'État
égyptien " traître à la cause arabe " qui s'est rendu
à Jérusalem pour préparer une paix séparée avec Israël. On
s'étonne qu'il ne fasse pas le pèlerinage auquel participe toute la
population.
Partout la barbarie du royaume saoudien saute aux yeux. La loi islamique s'applique dans la
rue, à l'hôpital et même chez soi quand des policiers viennent vous
embarquer parce que vous consommez de l'alcool. Ceux qui ne respectent pas le jeûne
islamique sont flagellés à la fin du Ramadan et conduits à l'hôpital
le corps ensanglanté. Les membres d'une milice musulmane circulent dans les rues, le
nerf de buf à la main, pour obliger les passants à se rendre à la
prière. Un policier exhibe une lycéenne en pleine rue et dénonce au porte-voix
sa " mauvaise conduite " parce qu'elle s'est promenée avec un
Yéménite, condamné pour cela à trois mois de prison.
Il y a aussi tout ce qu'Ismaël n'a pas vu mais dont on lui a parlé avec
désinvolture : la lapidation des femmes dites adultères et la décapitation par
le sabre des condamnés à mort.
On ne fait qu'entrevoir le monde des grands profiteurs dont les revenus sont
protégés par la dictature des émirs. L'un d'eux est un homme
d'affaires américain qui pratique impunément l'escroquerie à
l'assurance sur des marchandises inexistantes.
Sans effets appuyés, ce roman se lit d'une traite. Ce tableau de l'oppression et de
la terreur quotidiennes en Arabie saoudite ne peut que provoquer l'indignation des
lecteurs.
Depuis la société n'a pas changé. Mais l'an dernier, le régime
saoudien qui ambitionne de faire partie de l'Organisation Mondiale du Commerce, a
été félicité par le FMI pour ses " réformes "
économiques qui facilitent encore plus la pénétration des capitaux
occidentaux.
Le 8 mars 2001
Samuel Holder