Où en est l’Afrique du Sud quelques années après la fin de
l’apartheid ? Ce roman effectue une plongée passionnante dans une petite ville de
l’intérieur du pays, dans ce paysage du veld, âpre et poussiéreux. Il donne un
aperçu de ce que sont devenues les relations entre ceux qui torturaient et ceux qui étaient
torturés, ceux qui étaient membres de la minorité des privilégiés et ceux
pour qui la vie n’était que terreur et humiliation. Ce roman va encore plus loin. Il montre le
caractère sinueux, chaleureux ou trouble des rapports entre les gens qui ont vécu
l’apartheid, selon leur personnalité et selon leur position sociale ou politique.
En 1995, après de laborieuses négociations entre l’A.N.C. dirigée par Nelson
Mandela et le Parti National de De Klerk, une loi crée la Commission Vérité et
Réconciliation. Elle est un compromis entre l’amnistie pure et simple des crimes commis par les
Blancs racistes pendant les années de l’apartheid et leur condamnation systématique
réclamée initialement par l’A.N.C. Le chef religieux noir Desmond Tutu a poussé
à l’instauration d’une telle commission au nom du « pardon » et de la
nécessité de parvenir à la paix entre les communautés noire et blanche.
L’action du roman commence avec l’arrivée dans cette petite ville de Smitsrivier de la
Commission Vérité et Réconciliation. Elle est chargée d’entendre un ancien
policier blanc Dirk Hendriks emprisonné qui espère être amnistié en confessant un
de ses crimes devant la Commission. Cette procédure est un moyen pour d’anciens tortionnaires
d’échapper à de lourdes condamnations. Cette Commission est-elle vraiment un
« antiseptique social » comme l’affirment certains ? Rien n’est moins sûr. Mais
James Sizela, le directeur d’école noir et sa femme veulent en finir avec ce qui les
tourmentent : ne pas savoir où le corps de leur fils assassiné a été
enterré. Derrière cette préoccupation, il y a le désir qu’une forme de
justice leur soit rendue, que le présent ne soit pas « englouti par le marécage du
passé ».
Ben Hoffman, un vieil avocat blanc qui a combattu l’apartheid, décide d’aider les Sizela.
Mais il est au seuil de la mort et n’a plus la force de mener ce combat seul devant la Commission.
Autrefois il a formé une jeune, Sarah Barcant, qui a ensuite quitté l’Afrique du Sud pour
faire une brillante carrière de procureuse à New York. Quatorze ans ont passé. Sarah
accepte de revenir pour plaider à Smitsrivier. Mais plus question pour elle de se laisser envahir par
« cet horrible mélange de honte et de peur » qu’elle éprouvait
lorsqu’elle était adolescente en Afrique du Sud. Elle a décidé de
démêler cet écheveau tambour battant, ce qui lui réserve bien des
difficultés et quelques surprises douloureuses.
Pour faire éclater « la vérité », il faut aussi requérir la
présence d’Alex Mponpo, militant de l’A.N.C. qui a participé aux opérations
militaires lancées en 1985 et qui a été torturé par Dirk Hendricks. A
présent il est député, roule en Mercédès et est considéré
comme un héros par les jeunes Africains.
Le dernier personnage clef est l’ancien policier Pieter Muller. Il s’est reconverti dans une
affaire de gardiennage et d’élevage de poules. Il était ami et collègue de Dirk
qui lui est en prison.
Gillian Slovo a écrit des romans policiers. Même si celui-ci n’en est pas un, il est
construit avec l’efficacité et la tension propre aux meilleurs romans de ce genre. Ce livre est
remarquable par la façon dont il met en lumière les diverses facettes des personnes et la
complexité de leurs relations.
L’auteure réussit a garder une distance tout en s’impliquant. Cela s’explique en
grande partie par son itinéraire personnel. Son père Joe Slovo, d’origine juive
lituanienne, a été l’avocat de Mandela en 1964 et a dirigé la branche militaire de
l’A.N.C. Il est mort d’un cancer en 1995. Sa mère, Ruth First, journaliste communiste et
également militante de l’A.N.C., a été tuée par un colis
piégé au Mozambique en 1982. Seize ans plus tard, Gillian Slovo qui vit en Angleterre depuis
son adolescence, s’est retrouvée confrontée aux policiers qui ont assassiné sa
mère. Ce fut dans le cadre de la Commission Vérité et Réconciliation.
Certains ont beaucoup abusé de la notion de « devoir de mémoire » à propos
des épisodes les plus sombres connus par l’humanité. Gillian Slovo s’est
plutôt imposé un devoir de compréhension, avec une retenue et une justesse de ton sans
faille.
Le 3 février 2002
Samuel Holder
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