Alabama Monroe

Film de Felix van Groeningen

Belgique, 2012, 111 minutes
avec Veerle Baetens, Johan Heldenbergh...
Titre original : The Broken Circle Breakdown
Basé sur la pièce de théâtre The Broken Circle Breakdown Featuring the Cover-Ups of Alabama, de Johan Heldenbergh et Mieke Dobbels
IMDB : http://www.imdb.com/title/tt2024519/

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Les alliages les plus étonnants font parfois les métaux les plus précieux. Il fallait oser téléporter le bluegrass, cet héritier bâtard de la country music, en pays flamand, pour en faire littéralement la forme d'un film sur le couple affrontant la perte de son enfant, et confrontant les deux réponses que l'homme oppose à ce qu'il ne comprend pas : la raison et le mysticisme.

Didier est un grand barbu, très doux, très calme, très rationnel. Pour lui la science peut tout, et ce qu'elle ne peut pas encore n'est question que de progrès. Il est aussi un talentueux musicien et chanteur de bluegrass. Elise est tatoueuse, pétillante, rêveuse. Elle croit à la force du rêve et à un mystère de la vie qu'il ne sert à rien de chercher à percer, et qui en fait la poésie. Sa vie, d'ailleurs, elle la grave sur son corps, abondamment tatoué au fur et à mesure de ses expériences.

Ces deux-là qui n'ont rien de commun s'aiment d'emblée. Leur relation est forte, foncièrement duale, et pourtant une petite fille, Maybelle, née par hasard, accroît encore leur bonheur. Mais à l'âge de six ans, Maybelle présente les premiers symptômes de ce qui s’avère être une leucémie.

Le personnage de Maybelle, la maladie, la chimiothérapie, la mort, sont filmés pudiquement et comme brièvement, sans s'attarder. Le film va en fait se concentrer sur le couple et sa déchéance inéluctable. Didier endure la souffrance à sa façon rationnelle, exacerbe sa révolte contre les obscurantismes, contre ceux qui s'opposent à la recherche médicale pour des motifs religieux ou autres. Pour lui Maybelle n'est plus et ne reste que le vide. Elise croit à la présence de Maybelle quelque part et en cherche les signes. Et il faut vivre à nouveau à deux, avec ces deux réponses.

Que vient faire le bluegrass en Flandre, et sur un tel sujet ? Le réalisateur fait de cette musique rythmée, vocale, alternant joie et mélancolie, le support formel du film. L'intrigue se pose sur son rythme, la caméra suit son mouvement, le scénario en exploite les raffinements dans les scènes les plus poignantes (dans les passages de mandoline, les a cappella bouleversants...). La construction en flash-blacks sur au moins une quinzaine d'époques ne perd jamais le spectateur : des indices subtils situent la scène dans une temporalité complexe dès les premières secondes. Ce va-et-vient incessant n'empêche pas le film d'avancer, le mouvement global est celui de l'histoire, le mouvement particulier celui de la perception humaine de la réalité. L'impression rendue est en effet celle de la vie telle qu'on la vit : on est toujours à la fois dans le moment présent et dans ses souvenirs, et tout se mélange sans qu'on soit jamais perdu. Construit sur sa musique et sur sa chronologie, ce film est un vrai chef-d’œuvre formel.

C'est à la fin, quand tout est perdu et que la douleur est trop forte, que la perception rationnelle du temps n'est plus possible. Les flash-blacks accélèrent, vont trop vite, la musique devient entêtante, et la raison abdique en prenant conscience de sa limite. Contre l'absurdité et l'injustice de la mort qui frappe au hasard elle n'a pas fait mieux que n'importe quelle croyance mystique. Il faut essayer de vivre sans réponse.

Il faut bien sûr voir le film, mais on peut aussi en écouter la musique ici :
www.youtube.com/watch?v=XKbTtoNsm5U

Le 24 septembre 2013

Étienne Revelo

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