Nétotchka Nezvanova

de Dostoïevski

Éditions Babel (poche d'Actes Sud, janvier 2000)
Roman, 291 pages
Traduction par André Markowicz

Ce roman fait partie de la première période créatrice de Dostoïevski. L'écrivain russe né en 1821 commença à l'écrire en 1847. Il dut en interrompre la rédaction en raison de son arrestation le 23 avril 1849. Les premiers chapitres avaient été publiés quatre mois plus tôt dans les « Annales de la patrie ».

Le jeune Dostoïevski avait fréquenté de 1847 à 1849 les cercles politiques et littéraires de Pétrachevski et de Dourov. On y mettait en cause le servage et la censure. On y prenait connaissance des idées du philosophe des Lumières Helvétius et de celles du socialiste utopique Fourier. On discutait passionnément du rôle de l'écrivain dans la société. Pour sa part Dostoïevski avait été sensibilisé très tôt aux questions d'injustices sociales notamment par la lecture de George Sand, d'Eugène Sue, de Balzac et de Dickens. En participant aux soirées organisées par Pétrachevski, il devint un socialiste chrétien et fouriériste. L'État tsariste jugea qu'un complot subversif se mijotait au travers des propos tenus au sein du cercle de Pétrachevski. Trente-quatre membres furent arrêté dont Dostoïevski qui ne renia pas son attachement aux idées de Fourier devant la commission d'enquête : « Le fouriérisme est un système pacifique, il séduit l'âme par sa finesse, il flatte le coeur par l'amour de l'humanité qui inspirait Fourier lorsqu'il élaborait son système et étonne l'esprit par son harmonie. »

L'écrivain et ses compagnons furent condamnés à mort. Leur grâce intervint juste avant que le peloton d'exécution ne tire. L'un d'eux en devint fou. Les autres partirent pour le bagne.

« Nétotchka Nezvanova » avait été la première tentative de Dostoïevski d'écrire un roman de grande ampleur. Même dans son état inachevé, ce roman possède une force tragique et une profondeur psychologique remarquables. L'ambition était que chaque chapitre du roman soit une nouvelle autonome. La cohésion de l'ensemble des chapitres est incarné par la présence de la même héroïne qui s'exprime à la première personne.

Dès la première page, le lecteur est littéralement arraché et porté par une écriture haletante. Le premier chapitre est centré sur le destin d'Efimov, un musicien talentueux et raté, le beau-père de la jeune héroïne. Une des connaissances d'Efimov dit à un moment : « Assurez-le qu'il n'est pas un artiste, et, je vous le dis, il va mourir sur place, comme foudroyé, parce qu'il est terrifiant de se séparer d'une idée fixe à laquelle on a sacrifié toute sa vie et dont la base est quand même profonde et grave, parce que, sa vocation, à l'origine, elle était authentique. »

Le deuxième chapitre montre la complexité des relations entre deux adolescentes, la douce et pensive Nénotchka issue d'un famille pauvre et l'énergique et orgueilleuse Katia cajolée par son milieu aristocratique. Le troisième et dernier chapitre nous introduit dans le drame intime d'une femme mariée très sensible, détruite à petits feux par le mépris pervers de son époux.

L'originalité propre à ce roman est la finesse de pénétration de Dostoïevski de l'âme d'une enfant puis d'une adolescente lucide et moralement torturée. Nénotchka, est prise dans les filets des manipulations, des allusions et des non-dits de certains adultes. Elle voit naître en elle progressivement « une espèce de fierté », le début de son indépendance personnelle.

Le 20 novembre 2002

Samuel Holder

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