Ce roman fait partie de la première période créatrice de
Dostoïevski. L'écrivain russe né en 1821 commença à l'écrire
en 1847. Il dut en interrompre la rédaction en raison de son arrestation le 23 avril 1849. Les
premiers chapitres avaient été publiés quatre mois plus tôt dans les
« Annales de la patrie ».
Le jeune Dostoïevski avait fréquenté de 1847 à 1849 les cercles politiques et
littéraires de Pétrachevski et de Dourov. On y mettait en cause le servage et la censure. On y
prenait connaissance des idées du philosophe des Lumières Helvétius et de celles du
socialiste utopique Fourier. On discutait passionnément du rôle de l'écrivain dans la
société. Pour sa part Dostoïevski avait été sensibilisé très
tôt aux questions d'injustices sociales notamment par la lecture de George Sand,
d'Eugène Sue, de Balzac et de Dickens. En participant aux soirées organisées par
Pétrachevski, il devint un socialiste chrétien et fouriériste. L'État
tsariste jugea qu'un complot subversif se mijotait au travers des propos tenus au sein du cercle de
Pétrachevski. Trente-quatre membres furent arrêté dont Dostoïevski qui ne renia pas
son attachement aux idées de Fourier devant la commission d'enquête : « Le
fouriérisme est un système pacifique, il séduit l'âme par sa finesse, il
flatte le coeur par l'amour de l'humanité qui inspirait Fourier lorsqu'il élaborait
son système et étonne l'esprit par son harmonie. »
L'écrivain et ses compagnons furent condamnés à mort. Leur grâce intervint
juste avant que le peloton d'exécution ne tire. L'un d'eux en devint fou. Les autres
partirent pour le bagne.
« Nétotchka Nezvanova » avait été la première tentative de
Dostoïevski d'écrire un roman de grande ampleur. Même dans son état
inachevé, ce roman possède une force tragique et une profondeur psychologique remarquables.
L'ambition était que chaque chapitre du roman soit une nouvelle autonome. La cohésion de
l'ensemble des chapitres est incarné par la présence de la même héroïne
qui s'exprime à la première personne.
Dès la première page, le lecteur est littéralement arraché et porté par
une écriture haletante. Le premier chapitre est centré sur le destin d'Efimov, un musicien
talentueux et raté, le beau-père de la jeune héroïne. Une des connaissances
d'Efimov dit à un moment : « Assurez-le qu'il n'est pas un artiste, et, je vous
le dis, il va mourir sur place, comme foudroyé, parce qu'il est terrifiant de se séparer
d'une idée fixe à laquelle on a sacrifié toute sa vie et dont la base est quand
même profonde et grave, parce que, sa vocation, à l'origine, elle était
authentique. »
Le deuxième chapitre montre la complexité des relations entre deux adolescentes, la douce et
pensive Nénotchka issue d'un famille pauvre et l'énergique et orgueilleuse Katia
cajolée par son milieu aristocratique. Le troisième et dernier chapitre nous introduit dans le
drame intime d'une femme mariée très sensible, détruite à petits feux par le
mépris pervers de son époux.
L'originalité propre à ce roman est la finesse de pénétration de
Dostoïevski de l'âme d'une enfant puis d'une adolescente lucide et moralement
torturée. Nénotchka, est prise dans les filets des manipulations, des allusions et des non-dits
de certains adultes. Elle voit naître en elle progressivement « une espèce de
fierté », le début de son indépendance personnelle.
Le 20 novembre 2002
Samuel Holder
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