Le nom peintre ne se dit pas au féminin. Qu'importe. Berthe Morisot est
un des grands peintres du XIXe siècle. Elle a participé à toute
l'aventure du mouvement impressionniste avec une fidélité sans faille et
l'admiration de tous ses confrères, Manet, Degas, Renoir, Pissarro, Caillebotte,
etc.
Les études sur elle ne manquent pas ces dernières années. C'est
plutôt une rétrospective de son œuvre qu'on attend depuis longtemps en
Europe. Le livre de l'américaine Anne Higonnet1, très documenté, faisait la part belle à la
correspondance de l'artiste et de ses proches.
Ce livre de Dominique Bona est également une biographie mais qui a les qualités
d'évocation d'un roman. Non seulement toute la carrière de Berthe Morisot est
présentée avec finesse mais on sent aussi le souffle et la trame de l'histoire
sociale française au cours de sa vie (1841-1895) : le Second Empire, la Commune de Paris et
les premières décennies de la Troisième République.
La famille bourgeoise de Berthe Morisot avait l'esprit suffisamment ouvert pour ne pas
étouffer ses dons. Elle ne pouvait pas suivre les cours de l'École des Beaux-Arts
qui ne fut ouverte aux femmes qu'en 1897, deux ans après sa mort ! Ce fut donc un
enseignement particulier auprès de peintres réputés comme Guichard et surtout
Corot qu'elle reçut avec sa sœur Edma. Guichard donna cet avis prémonitoire
à leur mère : « Avec des natures comme celles de vos filles, ce ne sont pas
des petits talents d'agrément que mon enseignement leur procurera ; elles deviendront
des peintres. Vous rendez-vous compte de ce que cela veut dire ? Dans le milieu de grande
bourgeoisie qui est le vôtre, ce sera une révolution, je dirais presque une
catastrophe. Êtes-vous bien sûr de ne jamais maudire un jour l'art qui, une fois
entré dans cette maison si respectablement paisible, deviendra le seul maître de la
destinée de vos deux enfants. » (page 38)
Mme Morisot ne voulut pas contrarier l'enthousiasme de ses filles pour la peinture mais seule
Berthe eut la force de braver les pressions sociales et d'aller jusqu'au bout de son
rêve de devenir une grande artiste. Edma « finira engluée dans son
ménage, pouponnant, confiturant, et regrettant les belles années où elle
peignait. » (page 61)
Corot avait fait découvrir à Berthe la peinture de plein air et elle fut ensuite
attirée par la peinture de Manet, au moment où il était le plus moderne et le
plus scandaleux des peintres de son époque. L'amitié et l'influence
réciproques entre Berthe Morisot et Édouard Manet dureront jusqu'à la mort
de ce dernier.
Comparant son style à celui d'un autre peintre impressionniste, l'américaine
Mary Cassatt, Dominique Bona écrit : « Le pinceau de Mary Cassatt cerne davantage,
pousse le sujet vers l'avant, et exprime une prédilection pour le blanc. Berthe Morisot
est plus colorée, plus rapide ; sa manière de peindre qui se pose sur la toile reste
unique. Légère, elle évolue vers toujours plus de liberté et de
lumière. Un jour, le trait ne sera plus que suggestion pure. » (page 199) Elle a
exploré la peinture mais aussi l'aquarelle, le pastel et le dessin dans un style
à la fois allusif et vigoureux. Un autre de ses amis, le poète Stéphane
Mallarmé, écrit à l'occasion d'une exposition de ses œuvres en
1887 : « Tant de clairs tableaux irisés, ici, exacts, primesautiers, eux peuvent
attendre avec le sourire futur... » Quelques œuvres de Morisot nous sourient
à Paris au musée d'Orsay et au musée Marmottan. Mais l'essentiel de
son œuvre est dispersé dans quelques musées du monde, surtout
américains, et dans des collections particulières.
Comme complément à la lecture de ce livre réussi, nous recommandons, en
particulier pour ses reproductions, le livre de Jean Dominique Rey2 et la visite de quelques sites et musées3.
Le 30 juin 2001
Samuel Holder
1 Berthe Morisot, une biographie, par Anne Higonnet – éd Adam Biro 1989 – 236 pages
2Berthe Morisot, de Jean Dominique Rey – éd Flammarion 1982- 95 pages, 66 illustrations
3Musée d'Orsay, Paris( Le berceau, La chasse aux papillons, Jeune femme se poudrant... ), Musée Marmottan, Paris (Au bal, Fillette au panier, Julie Manet...), Musée du Petit Palais, Paris (Sur la pelouse), Musée Fabre, Montpellier (Jeune fille près d'une fenêtre), National Gallery, Londres (Jour d'été), Musée d'Ixelles, Bruxelles (Intérieur de cottage ou L'Enfant à la poupée), Ordrupgaardsamlingen, Copenhague (Portrait de Madame Hubard...), Museum of Art, Cleveland (L'Ombrelle verte, Mademoiselle Louise Riesener...), The Art Institute of Chicago (Jeune femme à la toilette, Femme et enfant sur un balcon...), National Gallery of Art, Washington, D.C. (Vue du petit port de Lorient, Portrait de Madame Pontillon...), The Toledo Museum of Art, Ohio (Dans les jardins de Maurecourt...), The Metropolitan Museum of Art, New York (Jeune femme assise au bois...), Le Louvre, Cabinet des dessins, Paris...
Quelques sites où trouver des reproductions de ses tableaux :