Ce film est comique et horrifique de bout en bout, dans un dosage subtil
qui tend à s'inverser en cours de route. Les critiques ont
repéré chez Dominik Moll un disciple de Hitchkock pour le suspense et de
Claude Chabrol pour la critique ravageuse des relations humaines.
Tentons une référence culturelle encore plus audacieuse, sans
prétendre réécrire le scénario qui est excellent. "
Harry " est une version moderne (postmoderne ? post-postmoderne ? nous en
discuterons une autre fois) du mythe de Faust, adapté au cadre de l'hexagone
français à la fin du XXe siècle. Faust est cet homme
insatisfait qui voulait vivre pleinement sa vie, avec l'aide du diable, à
défaut de trouver un autre expédient. Imaginez un instant Goethe, ce
poète du XVIIIe siècle, auteur de Faust, descendant de
l'Olympe de la littérature universelle, pour concentrer son attention sur une
de ces voitures de vacanciers français filant sur une autoroute, comme des
milliers d'autres, vers une destination présumée paisible ou
attrayante. Que verrait-il en examinant le contenu de ce véhicule ? Un couple
ayant dépassé la trentaine (Claire et Michel) et leurs trois enfants. Ils
en ont tous marre de ce trajet qui s'éternise dans un habitacle même pas
climatisé. Aussitôt Goethe, dépassé par les
événements, se demanderait : " Où est mon Faust, où se
cache Méphisto ? " Même pour un génie, près de deux
siècles de décalage, ça compte. Mais pour nous qui vivons dans le
susdit hexagone en l'an 2000, nous comprenons trop bien de quoi il retourne. Et il y
a de quoi rire (de nous-mêmes éventuellement).
Sous prétexte de passer de bonnes vacances en famille, ce couple " s'est
mis trop de trucs sur le dos " comme on dit. C'est la galère tous
terrains. Combien de millions de Babbitt américains, de Durand français, de
Schmidt allemands, de Smith anglais, etc, un peu à l'aise
financièrement mais pas tant que ça, sont accablés par les soucis et
s'épuisent à retaper une vieille maison " à soi " et
" pour les siens " ? Nous n'avancerons aucun chiffre.
Avec la proximité des parents de Michel qui ont une raison en or (voir les petits
enfants) pour rappliquer pour un oui ou pour un non, le petit coin de paradis
escompté prend de plus en plus les couleurs d'un petit enfer familial, "
bien à soi ". La fusion affective entre parents et enfants crée
parfois des explosions dans cette société dont on se protège pour
mieux s'aliéner. " Trop bon, trop con " comme dit Claire à
Michel.
La rencontre par hasard de Harry, ancien camarade de classe de Michel, plein aux as,
souriant, prêt à l'aider sans forcer la main, change la donne. Harry
fait les choses en même temps qu'il les décide, sans états
d'âme. Il est consterné de voir Michel étouffer ses
capacités créatives dans cette vie familiale médiocre et pesante et
s'acharner à vouloir contenter tout le monde sauf lui-même : "
Secoue-toi, libère-toi, il y a des solutions à tout, tu as du talent,
écris ! ". Il n'a pas tort, Harry. Mais…passer d'une forme de
dépendance à une autre, ce n'est pas se libérer. Tout cet
étouffement de la vie personnelle par les conformismes et la routine est
insupportable mais se laisser vampiriser par quelqu'un qui sait mieux que vous ce qui
est bon pour vous, c'est carrément dangereux. L'identité
personnelle est quelque chose de flexible mais de fragile : ça ne se secoue pas
comme un prunier mais ça ne se retape pas non plus par un labeur acharné,
comme une vieille maison en Auvergne.
Le 4 octobre 2000
Samuel Holder