« Mon oncle Benjamin » n’est pas assez connu et
réédité dans ce pays [NdR: la France]. Et pourtant, quel régal !
Ce roman fut publié en 26 feuilletons en 1842 dans L’Association, un journal
démocratique de Nevers.
Claude Tillier était fils de serrurier et sa femme était sage-femme des pauvres. Il
avait été surveillant dans des institutions, soldat en 1821 (il avait tiré un
mauvais numéro au Conseil de Révision), instituteur, directeur d’école
et journaliste. Il avait du abandonner son poste de directeur d’école à Clamecy
en raison des campagnes de calomnies contre lui lancées par les notables et les
ecclésiastiques du cru. Sa verve pamphlétaire contre cette catégorie de
personnes lui avait valu un procès et une lourde amende qui fit sombrer son journal
L’Association. Entre mille tracas et une maladie de poitrine qu’il
l’emporta en 1844, Tillier avait rédigé de nombreux pamphlets et un roman
très gai, « Mon oncle Benjamin ».
Dès la première page, l’auteur s’en prend à ces messieurs du
parquet qui prétendent défendre la réputation de Dieu : « Ont-ils
une procuration signée Jéhovah qui les autorise ?
Croyez-vous qu’il soit bien content quand la police correctionnelle lui prend dans la
main son tonnerre et en foudroie brutalement des malheureux, pour un délit de quelques
syllabes ? » Un esprit irrespectueux digne de Voltaire ou de Diderot va ensuite frapper
jusqu’à la dernière page.
L’histoire se déroule sous l’Ancien régime à l’époque
de Louis XVI. Le présumé oncle Benjamin de l’auteur est le frère cadet
de sa grand-mère. Ce Benjamin Rathery est médecin de son état,
célibataire, de très haute stature et profondément endetté. Son palais
est aussi raffiné que son esprit. Son gosier est toujours prêt à accueillir le
contenu d’une bonne bouteille de vin. A condition que ce soit en bonne compagnie. Benjamin
est un philosophe qui applique ses principes de bon vivant avec une bonne humeur quasi
inaltérable et une insolence redoutable. Toutes les circonstances sont bonnes pour le voir
se lancer dans des facéties, des digressions et des paradoxes étincelants :
« Toute la cité s’apitoie sur le sort d’un innocent qui monte à
l’échafaud […] Mais combien d’innocents périssent dans vos
fleuves, sur vos grands chemins, dans le creux de vos mines, et jusque dans vos ateliers,
broyés sous la dent féroce de vos machines […] Cependant, leur mort vous
arrache à peine une exclamation ; vous passez, et, quelques pas plus loin vous n’y
pensez plus. »
L’oncle Benjamin a aussi de grandes colères contre les rois et les nobles :
« - Mais dis-moi, peuple imbécile, quelle valeur trouves-tu donc aux deux lettres
que ces gens-là mettent devant leur nom ? Ajoutent-elles un pouce à leur taille ?
Ont-ils plus de fer que toi dans le sang, plus de moelle cérébrale dans la
boîte osseuse de leur tête ? […] Il est impossible que vingt millions
d’hommes consentent toujours à n’être rien dans l’État, pour
que quelques milliers de courtisans soient quelque chose ; quiconque a semé des
privilèges doit recueillir les révolutions. » Que nos
privilégiés actuels se le tiennent pour dit.
L’oncle Benjamin s’emporte contre les mariages arrangés par les parents :
« Ils ne savent pas ce que c’est pour une femme qu’un mari qu’elle
n’aime pas […] Quelques-unes se laissent mourir à la peine, d’autres vont
chercher ailleurs l’amour qu’elles ne peuvent se procurer avec l’homme auquel on
les a attachées. Celles-ci lui glissent doucettement une pincée d’arsenic dans
son potage et font écrire sur sa tombe qu’il laisse une veuve
inconsolable. ». Benjamin a une personnalité généreuse :
« Rien n’est plus ridicule que de mettre votre manière de sentir à la
place de celle d’un autre : c’est vouloir substituer votre organisation à la
sienne. ». Il ne lèverait pas le petit doigt pour s’enrichir mais il se
révèle promptement homme d’action pour ridiculiser un commerçant, un
bailli ou un gentilhomme.
Il serait dommage de dire quoi que ce soit de l’intrigue, si ce n’est qu’elle est
excellemment agencée. Quant au style, il est la fois léger et bondissant.
Le 22 janvier 2002
Samuel Holder
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