En portant à l'écran " Madame
Bovary ", le roman de Flaubert publié en 1857, Claude
Chabrol n'a pas cherché à moderniser
artificiellement l'histoire. Il a fait le choix d'y être le
plus fidèle possible. Ce parti pris de respect scrupuleux
aurait pu donner un résultat assez plat. Il n'en est rien.
Chabrol a réussi à insuffler à son film une
bonne part de la densité du roman, tout en gardant son ton
personnel, somme toute assez proche de l'ironie féroce de
Flaubert.
L'intrigue a la simplicité apparente d'un fait divers.
Flaubert s'était d'ailleurs inspiré d'une histoire
réelle : un médecin de campagne épouse la
fille d'un riche fermier ; celle-ci s'ennuie, prend un amant,
puis un autre. Elle s'enlise dans les dettes et se trouve
acculée au suicide.
Le cadre, celui d'une petite bourgade de la campagne normande non
loin de Rouen, est restitué par Chabrol de façon
éblouissante. Les personnages principaux sont assez
exemplaires de la petite bourgeoisie provinciale de
l'époque. Homais est un pharmacien anticlérical,
infatué de sa personne. Sous couvert de rationalisme, il a
réponse à tout et prétend résoudre
tous les problèmes. Lheureux est un commerçant
cauteleux, à la rapacité implacable. Charles Bovary
est un médecin à la compétence incertaine ;
il passe pour un imbécile parce qu'il ne sait pas masquer
sa banalité sans malice et son manque d'ambition.
Léon Dupuis, un jeune clerc de notaire sans relief, en
attente d'une bonne situation, adopte la pose romantique de
l'homme sensible et incompris.
Se tenant un peu à l'écart de ces petits bourgeois,
Rodolphe Boulanger est un châtelain blasé, brutal,
jouant cyniquement à Emma Bovary la comédie du
grand amour affranchi des conventions.
Emma, fille de fermier, rêve d'un monde plus brillant, plus
raffiné que celui qu'elle a toujours connu. Elle prend des
airs de grande dame sachant parler avec mépris aux
domestiques. Elle cherche à s'évader de son
existence étriquée par les seuls moyens à sa
portée : l'adultère, la religion, la coquetterie
vestimentaire… Son désir de vivre quelque chose
d'exaltant sombre dans le dérisoire. Car, au-delà
de la satire, il y a le drame d'une femme victime de la
lâcheté d'hommes ne voulant rien risquer pour elle,
et qui sera finalement détruite par le pouvoir de
l'argent.
L'Emma Bovary incarnée par Isabelle Huppert apparaît
plus intelligente et moins fantasque que celle de Flaubert. Son
interprétation est excellente, de même que celle de
Jean Yanne dans le rôle de Homais et celle de
Jean-François Balmer dans celui de Charles Bovary.
Un film de grande qualité, qui donne envie de lire ou de
relire le roman de Gustave Flaubert.
Le 11 décembre 2020
José Chatroussat
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