L'écrivain anglais raconte ici son premier voyage aux
États-Unis en 1842. Son humour fait merveille pour raconter sa traversée
mouvementée de l'Atlantique, pour camper un prédicateur farfelu
à Boston, la déambulation de gorets dans les rues de New York ou pour
pester contre la pratique généralisée du crachat par les chiqueurs
de tabac.
Dans plusieurs villes, Dickens s'est plus particulièrement
intéressé aux établissements scolaires, aux asiles et aux prisons,
dénonçant au passage les cruautés du système carcéral.
Ses remarques sur les murs et les institutions politiques américaines ont
gardé une certaine actualité. Il évoque les
« méprisables fraudes électorales ; corruption de
fonctionnaires ; lâches attaques contre l'adversaire, avec d'infâmes
gazettes pour boucliers et des plumes stipendiées pour poignards ». Il
constate que de nombreux incendies à New York sont commandités par des
spéculateurs. Il fait judicieusement remarquer qu'une des raisons pour
lesquelles Washington a été choisie comme capitale, c'est
« très probablement en raison de son éloignement des
masses ».
Dickens dénonce l'hypocrisie des discours sur la liberté et
l'indépendance du citoyen qui cachent en fait la liberté pour les
politiciens de ne pas tenir leurs promesses (notamment vis-à-vis des Indiens) et
la liberté pour les propriétaires d'esclaves de les exploiter et de les
torturer. Le livre se termine par un chapitre véhément contre le
système esclavagiste avec des extraits édifiants de la presse
américaine sur les sévices que faisaient subir les propriétaires
à leurs esclaves noirs.
Dickens s'est intéressé au sort des opprimés avec les limites
d'un petit-bourgeois réformateur, hostile à la lutte de classe. Point
de vue que l'on retrouve dans son roman concernant les ouvriers anglais,
«Temps difficiles » (Folio). Pour autant son indignation devant la
misère et les injustices sociales n'était pas feinte. Il les
dénonce dans ce « Voyage en Amérique » comme dans ses
romans, avec une ironie mordante et un sens aigu de l'observation.
Le 12 mars 2001
Samuel Holder