Les Terriens

Film d'Ariane Doublet

Ariane Doublet a planté sa caméra en plein champs et dans les maisons de quelques habitants de Vattetot-sur-Mer. Elle connaît bien quelques personnes de ce village du pays de Caux près de Fécamp et elle les estime. C'est donc plus qu'un documentaire mais un témoignage complice qu'elle a tourné sur eux et avec eux au cours de l'été 1999.

Au mois d'août de cet été-là, un moment magique a été vécu par tous ceux qui ont pu observer l'éclipse totale du soleil par la lune. Les champs et les prés de cette région qui se terminent sans prévenir par des falaises abruptes au bord de la mer étaient de bons endroits pour le faire. Ils ont attiré des dizaines de milliers de personnes venues de toute l'Europe. De quoi inquiéter et amuser les habitants du coin qui les ont accueillis. Eux étaient parés pour l'événement. Un nombre suffisant de lunettes avait été distribué en mairie et ils avaient potassé les brochures et écouté un exposé sur le phénomène de l'éclipse, avec humour et une curiosité exigeante. Le moment venu, on a sorti le coq pour voir comment il allait réagir. Chez tout paysan, il y a un éthologue dans l'âme, évidemment.

Le titre joue sur les deux sens possibles du mot terriens : ceux qui travaillent la terre et ceux qui habitent la planète Terre. Les jours d'attente de l'événement sont propices pour dire ce qu'est la vie des uns et des autres. Le travail de la terre qui préoccupe en permanence, le sentiment de solitude qui émane d'un terroir de moins en moins habité et la fameuse pluie normande fournissent sans doute un fond de sensibilité commun à tous les cultivateurs de la région. Mais au-delà, il n'y a que des différences personnelles et sociales. Les “ taiseux ” n'ont jamais tant parlé de leur vie et sur leur vie. Un couple de fermiers qui exploitent quarante hectares ne cachent pas leurs difficultés qui s'aggravent depuis leur jeunesse. Lui, avec sa modestie tranquille, ça ne le gêne pas de se dire paysan, même si sa fille préfère quand même dire agriculteur, ce qui est un terme un peu plus relevé. Un jour il est allé à Étampes avec sa femme voir des gros exploitants de la Beauce : “ On voit bien qu'ils ne sont pas ouvriers comme nous ”. Ouvrier, paysan, c'est tout comme : des gens qui travaillent dur et qui ne s'en sortent pas. Elle, si c'était à refaire, eh bien elle ne la choisirait pas une vie pareille ! Et on sent une révolte que rien ne peut apaiser, même l'affection de son mari et de sa fille.

Ce film a son propre charme : des images simples, des notations précieuses et éclairantes sur la vie des gens dans cette campagne-là. Et enfin la merveilleuse sensation qui unit tous les terriens de la Terre devant le spectacle de l'éclipse.

Le 18 novembre 2000

Samuel Holder

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