Il peut sembler impossible d'interpréter les chansons de Léo
Ferré. Comment faire quand les mots et les notes de Ferré collent à ce point
à la peau de Léo, à sa posture superbe et vengeresse, à sa sombre
révolte, à sa joie sarcastique, à ses images tour à tour puissantes,
dérangeantes ou délicates ? Le parti pris de l'interprétation quasi
littérale où l'on se met dans les pas de sa voix, de ses intonations et de ses
lignes mélodiques a déjà été adopté par d'autres
chanteuses.
Ann Gaytan emprunte un autre chemin, le sien, entre douceur et vaillance. Elle a une voix qui ne
fait penser à celle de personne d'autre. Mais surtout elle a la stature pour ne pas se
laisser dominer par la figure vorace de Léo Ferré.
Ses arrangements sont très variés et magnifiquement joués par les sept
musiciens qui l'accompagnent. Parmi les treize chansons de Ferré qu'elle
interprète : « Dieu est nègre », « Vingt ans », « Les
tziganes », « La mémoire et la mer », « La folie »,
« L'oppression » et « A une chanteuse morte », une chanson
inédite consacrée à Edith Piaf.
Ann Gaytan a aussi composé une chanson intitulée « Thank you
Ferré » qui est plus qu'un hommage : une interpellation forte et douloureuse, une
main tendue de la vivante à celui qui est mort. La poésie permet ce
dépassement de la mesure commune.
Elle termine par « La chanson triste », chantée a capella, comme pour
préparer le retour inévitable du silence. S'il existait des diamants noirs, ce
disque en aurait l'éclat.
Le 8 décembre 2000
Samuel Holder