La Soif

de Andreï Guelassimov

Roman traduit du russe par Joëlle Dublanchet
Éditions Actes Sud (novembre 2004)
131 pages, ISBN : 2742752463

« Je n’avais pas réussi à caser toute la vodka dans le frigo. » raconte le jeune Constantin, dit Kostia. Sa voisine a un enfant qui ne veut pas dormir. Seule la figure terrifiante de Kostia peut le convaincre d’aller au lit. À quelque chose malheur est bon. Kostia a eu le visage atrocement brûlé au cours d’une embuscade en Tchétchénie. « Notre blindé s’est pris une roquette ». Ses compagnons de service militaire l’ont d’abord cru mort. L’un d’eux, Sérioja, l’a sorti trop tard du véhicule blindé.

Depuis son retour il gagne sa vie en travaillant « à l’occidentale » : « Pour les riches. Avec parquets vitrifiés, plafonds suspendus et autres trucs de ce genre. » Ses compagnons de guerre Guéna, Pacha et Sérioja, unis et rivaux, sont toujours en quête d’un trafic lucratif ou d’une virée pour se croire encore vivants.

La soif de vodka, Kostia l’a observée lorsqu’il était enfant chez un directeur d’école qui avait repéré ses dons d’observation et ses talents de dessinateur. Une telle soif n’est pas faite pour oublier mais pour attiser une attente sans fin.

À son tour, Kostia mène une sorte de combat contre l’assèchement de son âme. Avec la vodka pour viatique, il attend des réponses à des questions insolubles. Pourquoi son père les a-il abandonnés lui et sa mère pour une jeunette ? Pourquoi sa mère s’est-elle liée à cet insupportable et pontifiant « oncle » Edouard Mikhaïlovitch ? « Pourquoi il y en a qui brûlent et d’autres qui sont sauvés ? Pourquoi le père que j’avais est-il devenu le père d’autres enfants ? » Kostia, qui semble tout prendre dans la vie comme ça vient, avec indifférence, est en fait rongé par une terrible exigence de lucidité et de liens authentiques. Au-delà, une question se pose au travers du destin de Kostia : un espoir de fraternité entre humains dans une société russe en pleine dérive est-il encore possible ?

Les séquences de sa vie d’enfant, de soldat ou de rescapé d’une guerre que tout monde voudrait étouffer, s’enchaînent sans transition, dans un va et vient perpétuel et douloureux. De courtes scènes, éloquentes sur la barbarie de la guerre en Tchétchénie, affleurent fréquemment, sans crier gare.

Ce bref roman très maîtrisé rattache Guelassimov à la grande tradition du réalisme critique de la littérature russe.

Le 25 février 2005

Samuel Holder

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