Les Fiancés

d'Alessandro Manzoni (1785-1873)

Éditions Folio classique
818 pages (sans les notes mais préface de 57 pages comprise)

Attention, chef-d'œuvre ! Les Fiancés, publié dans sa version définitive en 1840-1842 est un des plus grands romans de cette époque et un classique de la littérature italienne. Son succès auprès des lecteurs a été immédiat y compris auprès d'écrivains comme Goethe et Balzac.

Ce serait une erreur de se laisser rebuter par sa longueur car c'est une œuvre vivante, pleine de rebondissements et sans digressions. Le récit est comme propulsé par des héros populaires, avant tout les fiancés Renzo et Lucia, deux jeunes paysans du XVIIe siècle, en quête de justice et de bonheur.

Ce roman a de riches tonalités, parfaitement maîtrisées : humour, sobriété dans l'évocation d'épisodes effroyables, remarques d'une grande finesse sur les psychologies individuelles et sociales.

L'interrogation sur le sens de l'histoire et l'identité d'un peuple est commune à la plupart des écrivains du début du XIXe siècle. Manzoni et bien d'autres admiraient l'écrivain écossais Walter Scott qui avait pour ainsi dire créer le genre du roman historique ; il avait publié en 1820 Ivanhoé, un roman dont l'action se situe au XIIe siècle en Angleterre.

Avec les Fiancés, Manzoni voulait écrire un grand roman historique italien, accessible au plus grand nombre. Il choisit pour cadre la Lombardie située au nord de l'Italie, entre 1628 et 1630, en s'appuyant scrupuleusement sur des faits relatés par des chroniques de l'époque. Le fait de placer son roman à une époque suffisamment reculée lui a sans doute permis de franchir plus facilement l'obstacle de la censure des autorités autrichiennes qui occupaient cette partie de l'Italie.

Au début du roman, Renzo et Lucia doivent se marier incessamment avec l'accord de leurs familles. Mais don Rodrigo, le seigneur du coin, a des visées sur Lucia et s'oppose brutalement à ce mariage. De longue date il fait régner la terreur sur toute la région en s'appuyant sur ses sbires et son réseau de délateurs. Renzo, simple paysan, s'insurge. Ses proches le soutiennent. Il se heurte rapidement à la couardise, à la fourberie ou à la férocité de tous ceux qui détiennent un pouvoir.

La révolte de Renzo le mène bientôt sur une plus vaste arène. Son destin personnel rencontre celui du peuple de Milan et de la Lombardie, marqué en ces années-là par la guerre, les émeutes de la faim et une épidémie de peste.

Manzoni ne porte pas un regard neutre sur ces événements. Il a été profondément influencé par les philosophes du XVIIIe siècle, par les idées des " Lumières " qui ont préparé la Révolution française. A cela se mêle chez Manzoni, à la suite de sa conversion au catholicisme en 1810, des convictions chrétiennes particulières car elles ne consistent pas à se résigner face aux injustices. Même quand il est question de pardon, on sent toujours l'indignation prête à bouillonner et à se traduire en actes.

Voici quelques phrases extraites de ce roman :

Portrait d'un comte : " et sur un fond de grossièreté, que la nature lui avait dépeint sur le visage, mais voilé ensuite et recouvert de plus d'une couche de politique, passa un éclair de malice, qui y faisait un bel effet. " (page 419)

Les ressorts du pouvoir du pouvoir tyrannique : " Le soupçon que partout l'on avait de ses alliés, et de ses sicaires, aidait aussi à en raviver continuellement la mémoire. Ce n'étaient rien que des soupçons ; car qui aurait osé confesser ouvertement une telle sujétion ? Mais tout tyran pouvait être de ses alliés, tout malandrin, l'un de ses hommes ; l'incertitude même rendait cette opinion plus diffuse, et la terreur plus sourde. " (page 438)

" Les provocateurs, les oppresseurs, tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, font tort à autrui, ne sont pas seulement comptables du mal qu'ils commettent eux-mêmes, mais aussi du grand trouble qu'ils causent dans l'âme des offensés. " (page 100)

Pour le prêtre Abbondio qui refuse de marier les fiancés, il ne suffit pas d'être du côté des puissants pour être tranquille : " Mais une classe, quelle qu'elle soit, ne protège un individu, ne le garantit, que jusqu'à un certain point : personne ne le dispense de se faire son système particulier. " (page 81)

L'étonnement du paysan Renzo face aux chaînes bureaucratiques du pouvoir : " C'est extraordinaire, s'exclama-t-il, que tous ceux qui règlent le monde veuillent faire entrer partout le papier, la plume, et l'encrier. " (page 341)

Le 17 juin 2000

Samuel Holder

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