À LIRE DE TOUTE URGENCE
" M'appelle Birahima. Suis p'tit nègre [
] parce que je parle mal le
français. Mon école n'est pas arrivée très loin ; j'ai
coupé cours élémentaire deux [
] parce que tout le monde dit que
l'école ne vaut plus rien, même pas le pet d'une vieille grand-mère
[
] parce que même avec la licence de l'université, on n'est pas fichu
d'être infirmier ou instituteur dans une des républiques bananières
corrompues de l'Afrique francophone. [
] Avant de débarquer au Libéria,
j'étais un enfant sans peur ni reproche [
], j'étais un enfant de la
rue. Et quand on n'a plus personne sur terre, ni père ni mère ni frère ni
sur, et qu'on est petit, un petit mignon dans un pays foutu et barbare où tout le
monde s'égorge, que fait-on ? Bien sûr on devient un enfant soldat.
On m'avait dit le Libéria est un pays fantastique [
] des choses merveilleuses.
Là-bas il y avait la guerre tribale. Là-bas, les enfants comme moi devenaient des
enfants soldats, qu'on appelle [
] des small-soldiers. Les small-soldiers avaient tout et
tout. Ils avaient des kalachnikov. Les kalachnikov, c'est des fusils inventés par un
russe qui tirent sans s'arrêter. Avec les kalachnikov, les enfants soldats avaient tout
et tout. Ils avaient de l'argent, même des dollars américains. Ils avaient des
chaussures, des galons, des radios, des casquettes et même des voitures qu'on appelle
aussi des 4x4. J'ai crié Walahé ! Walahé ! Je voulais partir au
Libéria et devenir un enfant soldat
Tous les villages étaient abandonnés, c'est comme ça dans les guerres
tribales : les gens abandonnent les villages où vivent les hommes pour se réfugier
dans la forêt où vivent les bêtes sauvages. Les bêtes sauvages ça
vit mieux que les hommes
Sanniquellie était une grosse agglomération à la frontière où
on extrayait de l'or et du diamant. Malgré la guerre tribale, les commerçants
étrangers s'aventuraient appâtés par les prix cadeaux de l'or. Les
patrons associés qui sont les vrais maîtres des mines et de tout et tout habitent dans
de vraies forteresses gardées par des enfants soldats armés jusqu'aux dents et
toujours drogués. Totalement drogués
Foday Sankoh ne veut pas du deuxième tour des élections. La solution lui vint
naturellement sur les lèvres : "Pas de bras, pas d'élections." Il faut
couper les mains au maximum de personnes, au maximum de citoyens sierra-léonais ». Les
amputations furent générales, sans exception et sans pitié."
Extraits du dernier livre de l'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma
Allah n'est pas obligé (sous-entendu d'être juste en toute chose) qui
décrit l'Afrique de l'Ouest dévastée par les guerres fratricides entre
bandes rivales de la Sierra Léone au Libéria. Ces bandes appuyées par les
dictateurs locaux, mais aussi des pays voisins Guinée, Nigeria ou Côte d'Ivoire
terrorisent et massacrent les populations, utilisent les rivalités réelles ou
provoquées entre les ethnies (Malinkés, Krahns, Guérés, Yacous,
Gyos).
Dans l'indifférence générale, une région entière meurt. Pire
même l'ECOMOG, prétendue force de paix composée de soldats
nigérians, participe au massacre et au pillage.
Tout n'est pas perdu, heureusement, le cacao, le café, l'hévéa,
l'or, le diamant et le pétrole continuent d'être exploités sous la
garde d'enfants soldats ou de soldats adultes tous drogués et sanguinaires.
Il faut se précipiter au CDI ou à la bibliothèque municipale pour emprunter ou
faire acheter Allah n'est pas obligé d'Ahmadou Kourouma. Il faut le lire et le faire
lire. Pour comprendre la stupidité et l'horreur de toutes les rivalités de clans
ou... de quartiers ! .
Le 2 décembre 2000
Article de Cinquième zone n°102
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