Allah n'est pas obligé

D'Ahmadou Kourouma

Éditions du Seuil
233 pages

À LIRE DE TOUTE URGENCE

" M'appelle Birahima. Suis p'tit nègre […] parce que je parle mal le français. Mon école n'est pas arrivée très loin ; j'ai coupé cours élémentaire deux […] parce que tout le monde dit que l'école ne vaut plus rien, même pas le pet d'une vieille grand-mère […] parce que même avec la licence de l'université, on n'est pas fichu d'être infirmier ou instituteur dans une des républiques bananières corrompues de l'Afrique francophone. […] Avant de débarquer au Libéria, j'étais un enfant sans peur ni reproche […], j'étais un enfant de la rue. Et quand on n'a plus personne sur terre, ni père ni mère ni frère ni sœur, et qu'on est petit, un petit mignon dans un pays foutu et barbare où tout le monde s'égorge, que fait-on ? Bien sûr on devient un enfant soldat.

On m'avait dit le Libéria est un pays fantastique […] des choses merveilleuses. Là-bas il y avait la guerre tribale. Là-bas, les enfants comme moi devenaient des enfants soldats, qu'on appelle […] des small-soldiers. Les small-soldiers avaient tout et tout. Ils avaient des kalachnikov. Les kalachnikov, c'est des fusils inventés par un russe qui tirent sans s'arrêter. Avec les kalachnikov, les enfants soldats avaient tout et tout. Ils avaient de l'argent, même des dollars américains. Ils avaient des chaussures, des galons, des radios, des casquettes et même des voitures qu'on appelle aussi des 4x4. J'ai crié Walahé ! Walahé ! Je voulais partir au Libéria et devenir un enfant soldat…

Tous les villages étaient abandonnés, c'est comme ça dans les guerres tribales : les gens abandonnent les villages où vivent les hommes pour se réfugier dans la forêt où vivent les bêtes sauvages. Les bêtes sauvages ça vit mieux que les hommes…

Sanniquellie était une grosse agglomération à la frontière où on extrayait de l'or et du diamant. Malgré la guerre tribale, les commerçants étrangers s'aventuraient appâtés par les prix cadeaux de l'or. Les patrons associés qui sont les vrais maîtres des mines et de tout et tout habitent dans de vraies forteresses gardées par des enfants soldats armés jusqu'aux dents et toujours drogués. Totalement drogués…

Foday Sankoh ne veut pas du deuxième tour des élections. La solution lui vint naturellement sur les lèvres : "Pas de bras, pas d'élections." Il faut couper les mains au maximum de personnes, au maximum de citoyens sierra-léonais ». Les amputations furent générales, sans exception et sans pitié."


Extraits du dernier livre de l'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma Allah n'est pas obligé (sous-entendu d'être juste en toute chose) qui décrit l'Afrique de l'Ouest dévastée par les guerres fratricides entre bandes rivales de la Sierra Léone au Libéria. Ces bandes appuyées par les dictateurs locaux, mais aussi des pays voisins Guinée, Nigeria ou Côte d'Ivoire terrorisent et massacrent les populations, utilisent les rivalités réelles ou provoquées entre les ethnies (Malinkés, Krahns, Guérés, Yacous, Gyos).

Dans l'indifférence générale, une région entière meurt. Pire même l'ECOMOG, prétendue force de paix composée de soldats nigérians, participe au massacre et au pillage.

Tout n'est pas perdu, heureusement, le cacao, le café, l'hévéa, l'or, le diamant et le pétrole continuent d'être exploités sous la garde d'enfants soldats ou de soldats adultes tous drogués et sanguinaires.

Il faut se précipiter au CDI ou à la bibliothèque municipale pour emprunter ou faire acheter Allah n'est pas obligé d'Ahmadou Kourouma. Il faut le lire et le faire lire. Pour comprendre la stupidité et l'horreur de toutes les rivalités de clans ou... de quartiers ! .



Le 2 décembre 2000

Article de Cinquième zone n°102

< O M /\

URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/critiques/Ahmadou_Kourouma-Allah_n_est_pas_oblige.html

Retour Page d'accueil Nous écrire Haut de page