Comme une image

Film d'Agnès Jaoui

Scénario d'Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri,
Avec Marilou Berry, Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Laurent Grévill, Michèle Moretti.
2004, 110 minutes

Rien ne coule de source dans les rapports humains. N'assiste-t-on pas quotidiennement aux chocs perpétuels et plus où moins douloureux entre tous les ego constituant un milieu social donné ? Sigmund Freud écrit dans son Introduction à la psychanalyse : « Avec des mots, un homme peut rendre son semblable heureux ou le pousser au désespoir, et c'est à l'aide de mots qu'un maître transmet son savoir à ses élèves, qu'un orateur entraîne ses auditeurs et détermine leurs jugements et décisions. Les mots provoquent des émotions et constituent pour les hommes le moyen général de s'influencer réciproquement. » Ce film en donne une illustration d'une belle acuité.

L'histoire se situe aujourd'hui à Paris dans le milieu de l'édition. Elle aurait été tout aussi plausible dans autre milieu aisé où l'image de marque, la réussite et les relations de pouvoir sont déterminantes.

Etienne Cassard joué par Jean-Pierre Bacri est un écrivain et un éditeur qui compte dans le microcosme littéraire parisien. Cassard est un mufle intelligent, un type humain redoutable, parmi d'autres. Autant dire qu'il n'estime pas avoir de gants à prendre avec personne. Cela fait même partie de son personnage, remettre à sa place un chauffeur de taxi acariâtre, snober un officiel de la culture au cours d'un cocktail, tourner en dérision son entourage, son secrétaire, sa femme beaucoup plus jeune que lui et qui l'exaspère dès qu'elle veut sortir de son rôle de faire valoir, sa fille (d'un premier mariage) qu'il a jugé définitivement médiocre et velléitaire... Mais être un dominant à plein temps, c'est épuisant à la longue, surtout quand on provoque en retour des plaintes et des reproches auxquels on ne s'attendait pas.

Sa fille adolescente, Lolita (jouée par Marilou Berry), souffre de ses rondeurs et de l'absence d'attention et d'estime de son père. Sa soif de reconnaissance de la part d'un homme que tout le monde admire l'aliène affectivement à lui et entretient sa boulimie. Elle s'enferme dans la posture de la victime, de la mal aimée, ce qui la rend aveugle à l'affection sincère d'un jeune journaliste d'origine maghrébine. Sa vocation de chanteuse classique n'est guère encouragée par sa professeure de chant, Sylvia (jouée par Agnès Jaoui), sauf à partir du moment où elle découvre qu'elle est la fille d'un écrivain célèbre qu'elle admire, le fameux Etienne Cassard. Découverte qui par le jeu des rencontres va mettre le pied à l'étrier au mari de Sylvia, un romancier exigeant dont la carrière était en panne.

N'allons pas plus loin dans l'évocation de cette ronde plutôt cruelle entre les êtres. Elle est menée de façon nuancée et vivace, sans complaisance ni effets faciles. Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri ont mis en scène le caractère destructeur de différentes formes de mépris et de dévalorisation des autres, l'arrivisme, la dictature du look, la misogynie, le racisme, le narcissisme... Mais ils nous incitent à réfléchir plus loin sur la trame des relations humaines. Dans les échanges, les remarques et les répliques consolident ou remettent en cause l'image que les différents protagonistes ont d'eux-mêmes ou voudraient donner d'eux-mêmes. La reconnaissance acquise ou recherchée ne prend consistance ou ne peut être détruite que par le regard et les commentaires des autres. Personne en tant qu'individu n'a la force d'exister sans approbation, encouragement, affection sincère.

Une activité humaine joue ici un rôle important : la musique. On ne peut pas dire qu'elle adoucisse vraiment les moeurs dans cette histoire. Mais les chants de Monteverdi, Mozart ou Schubert introduisent une beauté étrange, comme une voie de sortie par le haut quand tout ressemble à un gâchis généralisé.

Le 7 octobre 2004

Samuel Holder

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