Les soi-disant conflits confessionnels en Égypte ou le parti pris des médias français


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La presse et les experts de l'Égypte en France nous ont raconté qu'il y avait eu de violents affrontements entre chrétiens coptes et musulmans le 9 octobre au Caire. Ou, au mieux, que les affrontements entre les coptes et l'armée traduisaient la profondeur du conflit confessionnel qui oppose les coptes aux musulmans dans ce pays.
Or tout cela est faux. Ce ne serait pas nouveau si cette fois-ci la presse égyptienne elle-même, dans sa quasi totalité, n'avait pas donné un tout autre son de cloche. N'importe quel journaliste français, d'autant plus un "expert" qui y aurait jeté un oeil, aurait pu s'épargner la honte de se faire le porte-parole des manipulations de l'armée égyptienne.
On a déjà eu l'intoxication de l'attaque de l'ambassade d'Israël le 9 septembre et maintenant le conflit chrétiens/musulmans.

Il faut savoir que la manifestation copte en question était organisée pour protester contre l'armée qui, avec l'aide de voyous, avait déjà attaqué cette communauté et tué certains de ses membres lors de la construction d'une Église. La manifestation du 9 octobre avait lieu devant le siège de la télé nationale accusée de mettre de l'huile sur le feu entre les communautés et elle était protégée par des amis musulmans étant donné les précédentes tentatives d'attiser le feu confessionnel par les services de police.
On se rappelle de l'attentat à l'explosif contre une église en janvier ou les violentes attaques contre les éboueurs coptes du Caire. Le 9 octobre, ça n'a pas raté. L'armée a attaqué une fois de plus la manifestation copte/musulmans mais avec une violence encore jamais vue en lançant ses véhicules sur les manifestants, cherchant à les renverser et les écraser et faisant de nombreux morts. En même temps elle a demandé à la télé de dramatiser les choses en lançant un appel solennel aux musulmans du pays pour venir aider l'armée, qu'elle prétendait être attaquée par les chrétiens et le soir même elle décrétait le couvre feu à cause des violences confessionnelles.
Suite à l'appel de la télévision, des musulmans sont venus. Au début, il y a eu deux camps, la manifestation copte/musulmans qui scandait "coptes-musulmans unis" et les musulmans appelés par la télévision qui scandaient "armée- peuple unis". Mais, rapidement, après un peu de confusion, tout le monde a compris ce qui se passait, et l'ensemble des manifestants, chrétiens et musulmans, s'est retourné contre l'armée et l'a attaquée avec des cailloux en criant « peuple uni » ou « Tantawi dégage » ( le chef de l'armée). Et, chose importante, pour la première fois, les soldats ont reculé ou fui. Ils ont été battus par le peuple.
Voilà ce que tous les journaux égyptiens, toutes tendances confondues, racontent peu ou prou.
Même la télévision nationale s'est excusée de son attitude.
Pour beaucoup, ce qui s'est passé le 9 octobre est un tournant. Après avoir perdu son image de protection de tous les citoyens, c'est la fin de la domination de l'armée sur le pays. Les jours du CSFA (Conseil Supérieur des Forces Armées qui dirige le pays) sont comptés. Cela se fait dans le contexte du procès de Moubarak qui a du être continué à huis clos étant donné la mise en évidence des complicités entre dirigeants actuels et passés mais surtout le procès des chameliers pour leur attaque de la place Tahrir qui révèle publiquement ce que tout le monde soupçonnait, à savoir qu'ils obéissaient aux ministres, chefs de la police et de l'armée d'hier et... d'aujourd'hui.
Lors de la mascarade de l'attaque de l'ambassade d'Israël le 9 septembre par quelques centaines de nationalistes, voyous et policiers en civil sous la protection de l'armée, il y avait en même temps une grosse manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Or celle-ci avait lieu en défense de la révolution contre l'armée et les slogans scandés en substance « quel que soit le résultat des élections, nous serons toujours dans la rue au lendemain du scrutin » avaient un succès certain. La manoeuvre de l'armée a été de pousser de force la fin de la manifestation en train de se disperser vers l'ambassade d'Israël où des policiers déguisés l'attaquaient. Tout ça pour pouvoir faire l'amalgame, "les manifestants révolutionnaires attaquent l'ambassade et mettent en danger la paix", afin de justifier l'arrestation de centaines de militants et la prolongation de l'état d'urgence et de la répression la plus arbitraire.
Devant les élections qui approchent, (fin novembre) et donc son départ annoncé, l'armée joue de cette zizanie qu'elle organise comme de la division confessionnelle et de la peur de l'épouvantail islamiste pour se maintenir au pouvoir en prorogeant et amplifiant ses pouvoirs en une espèce de coup d'état rampant.

Mais plus fondamentalement, depuis la fin du ramadan, on assiste à une montée des luttes et grèves avec, semble-t-il pas mal de succès - y compris la renationalisation d'une partie de l'industrie textile - au point que les autorités craignent leur généralisation. Depuis la chute de l'ex-président Hosni Moubarak, il n'y a jamais eu une telle effervescence. C'est une recrudescence sans précédent de protestations, grèves et sit-in dans plusieurs secteurs économiques. Instituteurs, médecins, infirmières, employés des transports publics, professeurs d'université, étudiants, dockers, contrôleurs aériens, employés des compagnies aériennes, ouvriers du textile, du ciment, du pétrole et d'usines diverses. Tous y ont passé et continuent actuellement au point que la généralisation de la grève est dans l'air, et que les appels ou les menaces d'appels à la grève générale comme celle toute récente des ouvriers de la fameuse usine textile de Mahalla el-Kubra qui a joué un rôle si important dans la révolution, mettent en panique les autorités. Il faut dire que si les revendications sont presque toujours les mêmes : hausse des salaires et primes, meilleures conditions de travail, meilleure formation, réforme du secteur concernés et qu'elles peuvent être placées sous le signe de la « justice sociale » et d'une meilleure répartition des revenus, les grévistes exigent aussi de « dégager » leurs directeurs, patrons ou responsables divers.
A tel point qu'on parle de deuxième révolution, celle de la faim ou des travailleurs. Or les prises en main de différents aspects de la vie en société par la population n'ont pas cessé et se sont même amplifiées, depuis la circulation automobile, le nettoyage des rues, l'hygiène alimentaire ou la police et la justice comme dans le plus grand bidonville du Caire, Boulaq Al-Dakrour, où la police ne met plus les pieds.
Le gouvernement n'arrivant pas à arrêter cette vague de grèves et craignant son élargissement aux questions ouvertement politiques comme son ascendant sur les tentatives d'organisation des quartiers, il essaie de la canaliser ou l'enrayer, la détourner et la diviser par le nationalisme ou les conflits confessionnels.

Ce qu'il y a de plus choquant concernant les médias et intellectuels français, c'est qu'on trouve ces informations ou ces points de vue dans la presse égyptienne quotidienne la plus courante. Ici, rien de rien ! Il est vrai que pour bien des intellectuels, le monde du travail n'existe pas ou que rien de bon ne peut venir de là et que pour bien de ces démocrates, l'armée des Ben Ali et Moubarak était une protection contre l'épouvantail islamiste si pratique. Le monde, y compris des médias, a changé au Machrek ou au Maghreb. Pas en France, l'armée égyptienne y dicte l'information.

Le 17 octobre 2011

Jacques Chastaing

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URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/en_question/2011-10-24-Egypte-Medias.html

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