La mort de Walter Cronkite : l’occasion de relire Chomsky !

La mort, à 92 ans, du journaliste américain, chef d’antenne de CBS News pendant presque 20 ans (de 1962 à 1981), donne lieu dans les médias à un déluge d’éloges : tous s’accordent pour le présenter déjà comme un personnage de légende, rappelant un sondage d’opinion en 1972 qui le déclarait « l’homme qui inspire le plus confiance à l’Amérique ». Le président de CBS News et Sports, Sean Mcmanus, vient d’ailleurs de l’élever à titre posthume au rang de guide suprême de la nation ! « Il avait guidé l’Amérique à travers nos crises, tragédies et aussi nos réussites et nos grands moments » a -t-il dit dans un communiqué.

Et de rappeler que c’est lui qui a annoncé l’assassinat de J.F Kennedy, le scandale du Watergate, les premiers pas sur la lune... et qu’il aurait « joué un rôle crucial » à la fin des années soixante « en tournant l’opinion publique américaine contre la guerre du Vietnam ».

Que Walter Cronkite ait été un excellent professionnel, là n’est pas la question. Mais de là à en faire un journaliste quasiment frondeur, qui aurait représenté « le meilleur de la presse » d’après le président Bill Clinton, grand spécialiste en la matière, le pas est un peu vite franchi. En effet, pour nous qui ne suivons pas les sirènes de la renommée, nous ne pouvons nous empêcher d’évoquer l’analyse faite par Noam Chomsky et Edward Herman de la couverture de la guerre du Vietnam par les médias américains et nous ne pouvons que conseiller, à cette occasion, à ceux qui ne l’auraient pas déjà faite, la lecture de leur ouvrage, « La Fabrication du consentement : de la propagande médiatique en démocratie » (Contre-Feux Agone, octobre 2008, 653 pages). Walter Cronkite y est bien-sûr cité mais les deux auteurs n’épousent pas la thèse (de la Freedom House entre autres) d’une soit disant attitude frondeuse des médias américains. Au contraire ils démontrent que ces mêmes médias se sont en réalité « écarté aussi peu que possible des limites imposées du système de propagande d’État » et que « les reportages pris sur le vif » (et démontrant pourquoi cette guerre ne pouvait être gagnée) « amenèrent les commentateurs sensiblement aux mêmes conclusions que les plus hauts conseillers de Johnson » et que, lors de l’offensive du Têt, par exemple, « Cronkite aboutissait simplement aux mêmes conclusions que celles que brossait le même jour, dans son compte-rendu au président, le chef d’état-major des armées ».

Journaliste courageux lors de la seconde guerre mondiale (Cronkite a assisté au débarquement en Normandie), sans doute... mais en ce qui concerne son rôle sur l’opinion publique lors de la guerre du Vietnam (on finirait presque par croire que c’est en partie grâce à lui qu’elle a pris fin !), le doute est donc permis ! En tous les cas s’il a souvent rendu fidèlement compte de la situation militaire au Vietnam, il n’a jamais remis en cause la justesse de l’intervention américaine. Chomsky nous rapporte un de ses points de vue :
« Il parle plutôt d’un bourbier et ajoute que « le seul moyen rationnel d’en sortir sera de négocier, non en vainqueurs, mais comme des gens honorables qui sont allés aussi loin que possible dans leurs engagements à défendre la démocratie, et qui ont fait de leur mieux ». Ne portons pas donc trop vite notre journaliste légendaire aux nues de la contestation !

Juillet 2009

Nadine Floury

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