Révolte populaire en Grèce :

Les médias nous mettent en garde : il y a risque de contagion !

Une bavure policière et des bandes de casseurs ?

« Le mouvement des jeunes contre la violence policière se radicalise aujourd’hui contre les médias grecs accusés de montrer d’abord les dégâts des casseurs ».Cette constatation n’a pas été faite par un « anarchiste », ni par un de ces politologues dont la voix a autorité sur les ondes, mais par un journaliste lui-même. C’était le 9 décembre 2008 dans le 19/20 de FR3 au cours duquel nous avons entendu deux étudiants dire au reporter qui les interroge : « En diffusant en boucle tous les dégâts matériels, la télévision veut cacher tout le reste, on n’entend plus parler du point de départ, la mort d’Alexis, et de tous les autres scandales du gouvernement » et « Les médias c’est le quatrième pouvoir de l’Etat, c’est comme si je parlais à un policier, un militaire ou un politicien, parce que vous déformez les faits ».

Voilà des déclarations qui ne sont pas sans nous rappeler le mouvement étudiant de novembre 2007 en France au cours duquel, dans certaines villes comme à Rennes ou à Montpellier, les médias avaient été un peu malmenés et leur présence interdite à certaines AG, les étudiants leur reprochant leur manque d’objectivité et leur habitude de dévaloriser systématiquement tout mouvement social. Cela avait valu à ces mêmes étudiants d’être présentés dans une partie de la presse comme des excités menaçant la liberté d’expression et dirigés par des bandes de néo fascistes.

Les jeunes Grecs ont échappé à l’accusation de fascisme, il faut dire qu’ils se révoltent contre des méthodes policières qui ne sont pas sans évoquer celles des dictatures, mais ils ont eu le droit eux aussi à être stigmatisés comme des « casseurs », des « enragés », « incontrôlés et incontrôlables », ces deux dernières expressions ayant été utilisées par Ouest France qui note, le 12 décembre, que « tous ces jeunes enragés restent avares de paroles[…] S’emportent à la vue d’un appareil photo ou d’une caméra ». Et pour parfaire sa description l’envoyé spécial du quotidien breton cite les propos de l’un d’entre eux: « « On s’est réunis, on a décidé de ne pas parler », marmonne celui-ci, caché par une capuche et des lunettes noires. »

Le portrait de l’enragé grec étant ainsi brossé, que nous a-t-il été donné à voir et à comprendre ? Si la presse écrite a, dans son ensemble, produit plusieurs articles pour analyser la situation économique, sociale et politique de La Grèce, les chaînes de télévision se sont contentées quant à elles d’images choc et d’explications sommaires.

A l’instar des médias grecs, c’est l’image des casseurs et des combats de rue qui a été mise en valeur dans nos propres journaux télévisés. Que nous a- t-il été montré en boucle pendant plusieurs jours ? Essentiellement des scènes de nuit, avec policiers casqués, gaz lacrymogènes, voitures en flammes et, parfois, dominant le reporter en train de nous relater les évènements, l’image imposante de l’Acropole, montage subtil pour nous laisser entendre que la Grèce immuable et éternelle, berceau de la civilisation, serait en danger. Les imperturbables Caryatides sont d’ailleurs quasiment prises à témoins le 8 décembre dans le JT de 20 heures sur France 2 : « Partout dans les rues, des incendies et des fumées noires qui ombragent ce soir la colonnade de la célèbre Acropole » et l’envoyé spécial conclut : « Les manifestants empêchent les pompiers de faire leur travail. Le centre ville semble pour l’instant livré aux mains des casseurs », même son de cloche sur TFI sur le site duquel on peut lire le même jour :« Les villes grecques livrées aux émeutes et aux pillages » .La violence est ainsi présentée comme le fait de bandes de jeunes casseurs qui seraient donc responsables de ce que les commentateurs estiment être la « dégénérescence » du mouvement : « Dans tout le pays des rassemblements dégénèrent » nous est-il dit sur TF1 le 7 décembre dans le journal de 20 h), et le 8 , sur France 2, c’est David Pujadas qui le décrète « Nous nous retrouverons éventuellement d’ici à la fin de ce journal pour faire un dernier point sur ces événements en Grèce qui sont donc en train de dégénérer. »

Le mot « dégénérer » n’est pas anodin, il a une connotation profondément négative. Il y aurait donc eu, d’après nos journalistes, un mouvement de protestation justifié à l’origine mais qui serait en train de mal évolué. Quelles explications nous en donnent-t-ils ? Leur attention se focalise sur la mort du jeune lycéen, ils n’hésitent pas à dénoncer d’une part la violence policière mais ne peuvent s’empêcher de la relativiser d’autre part. C’est encore David Pujadas qui le 8 décembre pose cette question à l’envoyée spéciale de la chaîne : « Est-ce que cette flambée de colère est liée à la bavure ?» : Effectivement s’il ne s’agit que d’une simple bavure policière, comme vient de l’affirmer notre présentateur, les émeutes qui éclatent en Grèce peuvent apparaître comme disproportionnées, David Pujadas poursuit donc son interrogation « ou est-ce que ces malaises révèlent un malaise plus profond ? ». Nous attendons enfin une analyse approfondie des raisons qui poussent des milliers et des milliers de Grecs, partout dans le pays, à descendre crier leur colère dans la rue. La correspondante de France 2 nous brosse rapidement un tableau de la situation sociale et politique (à noter que TF1 n’a même pas fait cet effort dans ses propres JT se contentant de décrire les combats de rue) : « La bavure a été le véritable détonateur d’une société qui va mal, d’une jeunesse qui se porte plutôt mal, qui n’a plus de repères à l’heure actuelle en Grèce. Cette jeunesse qu’on appelle jeunesse à 600 euros, qui est le salaire minimum, parce qu’il y a le plus fort taux de chômage des jeunes en Grèce et elle n’a plus de repères. Il n’y a plus d’état protecteur depuis les incendies ravageurs de 2007. Il n’y a plus de mécanisme étatique et des scandales qui s’accumulent, bien entendu, avec le fonds européen d’une part mais un système social qui ne va plus, les prisons, les immigrés et bien entendu la liste est longue. » : la bavure est donc une nouvelle fois confirmée, la « maladie » est constatée , mais aucune analyse approfondie des causes du « mal » !

Il nous faut donc entendre entre les lignes , par exemple ceci : « Les banques sont l’une des cibles privilégiées des casseurs » (France 2 le 8 décembre), « Ce matin les habitants d’Athènes découvrent avec stupeur l’ampleur des dégâts, pourtant rares sont ceux qui condamnent les casseurs » (TFI dans le journal de 13 heures du 9 décembre) , « Une grande majorité de Grecs soutient le mouvement des étudiants, dans la manifestation appelée par les syndicats, ouvriers, fonctionnaires et instituteurs comprennent que des casseurs s’en prennent aux banques » (TF1, 10 décembre, 20 h)… Ces petites phrases qui nous sont ainsi livrées sont lourdes de sens. Elles nous permettent de comprendre que, même s’il y a eu des « débordements », des pillages incontrôlés comme dans tout mouvement de ce genre, la révolte des Grecs est profondément populaire, qu’elle est politique ( l’attaque des banques en cette période de crise financière mondiale prouve une certaine conscience des causes du mal) et que ceux qui sont dénommés les casseurs ne sont forcément pas vus comme des « terroristes d’extrême gauche » comme cela nous est répété à l’envi mais que leurs analyses et propositions ont trouvé un écho dans la population.

C’est bien ce qui provoque une peur bleue en France dans la classe politique dirigeante.

Une maladie contagieuse ?

La presse, après avoir condamné assez unanimement les violences policières et la mort du jeune lycéen a subitement changé de ton lorsque nos propres lycéens sont descendus dans la rue. Nous n’entendons plus parler maintenant que de risques de « contagion ». Les révoltes populaires ne seraient donc que des « maladies » ?

Le 11 décembre, le Figaro.fr et l’AFP titrent : « Grèce : la contagion de la crise redoutée »

RTL, sur son site, nous présente ainsi l’émission du 13 décembre :

« - Une semaine d'émeutes en Grèce, après une bavure policière( encore ! ); un adolescent tué d'une balle qui a sans doute ricoché, mais qui n'en a pas moins provoqué un énorme spasme dans la jeunesse. - Des lycéens dans la rue en France contre les réformes souhaitées par Xavier Darcos, le ministre de l'Education nationale. Est- ce que les vacances de Noël vont calmer le jeu ? - Des manifestations à Barcelone et à Madrid, là, pour dénoncer un système éducatif inadapté. Peut-il y avoir contagion en Europe de cette révolte des jeunes ? »

Le Monde s’inquiète aussi et titre en première page le 13 décembre : « Social, jeunesse, banlieues : la France gagnée par l’inquiétude. La droite comme la gauche scrutent attentivement les évènements de Grèce »

Le journal Sud-Ouest dans son édition du 14 décembre écrit en évoquant le sondage réalisé par l’IFOP : « La crainte d’une crise sociale grave demeure bien présente parmi les Français, 72% expriment l’ inquiétude que des évènements identiques à ceux que connaît la Grèce actuellement se traduisent chez nous aussi par des affrontements violents » et nous livre cette analyse du « facteur Besancenot » : « Le mouvement trotskiste a une longue expérience de l’accompagnement des mouvements sociaux, notamment des lycéens, et le contexte du moment peut donner plus de chair à son discours lorsqu’il dit que la crise actuelle n’est pas seulement celle du capitalisme financier mais du capitalisme tout court »

France Info reprend les chiffres du sondage et nous offre ce commentaire par la bouche de Denis Muzet, le sociologue des médias comme il nous est présenté sur le site : « Et puis il y a les affrontements en Grèce aussi qui ont marqué les esprits. Oui, ce n’est pas un hasard. Les évènements en Grèce ont été retenus parce que, certes il y a des spécificités dans la société grecque, mais nos compatriotes projettent sur ces images des violences leurs propres angoisses. Pourquoi ? Parce qu’ils se disent que ça pourrait bien arriver chez nous. Je cite : “il suffirait d’une étincelle, d’une mort accidentelle, d’un jeune dans un quartier chaud, comme en 2005, et ça pourrait s’embraser”. Et justement, au même moment, il y a les grèves à l’Éducation nationale qui - craignent-ils - pourraient fournir l’étincelle. Et Xavier Darcos a beau affirmer sa détermination, certains pensent que ça pourrait se retourner contre lui, tant le mal être est grand dans le pays. »

En réduisant ainsi l’inquiétude populaire à un simple mal être, en insistant sur nos soi-disant craintes des violences, c’est en fait leurs propres craintes qu’ils tentent de juguler. Car ce qui a poussé les jeunes Grecs à la quasi insurrection c’est bien plus que la mort de l’un des leurs : est-il besoin d’en énumérer les raisons ? Elles sont les mêmes que les nôtres ! Le spectre de la lutte des classes que les classes dirigeantes pensaient avoir définitivement enterré resurgit et fiche en l’air leur plans de « sauvetage du capitalisme ». Ce qui se passe en Grèce les désespère ? Mais quel espoir pour nous !

Le 14 décembre 2008

Nadine Floury

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