Publié en 2007 par les éditions « Raisons
d’agir », ce livre du sociologue Christian de Montlibert analyse les situations
sociales des divers acteurs du monde de l’économie, nous éclaire sur les liens
qui les unissent et leur intérêt commun à faire primer le point de vue
économique en inculquant une certaine manière de voir et de penser le monde.
Les banquiers et les dirigeants d’entreprises, possédant le capital financier,
continuent à occuper une position centrale ; les élus nationaux et locaux, par les
décisions politiques et administratives qu’ils sont amené à prendre
contribuent à défendre leurs intérêts en leur permettant de
réaliser un maximum de bénéfices.
À ces acteurs « classiques » du système économique sont venus
s’ajouter plus récemment d’autres agents terriblement efficaces : les
consultants et conseillers et les journalistes économiques. Il y a eu une véritable
explosion des cabinets d’audit, d’analyse et de conseil. Devenus des
intermédiaires indispensables, spécialistes des nouvelles techniques
d’organisation du travail, ils se donnent le rôle à la fois de
« médecins » qui diagnostiquent les dysfonctionnements des entreprises et
d’ « entraîneurs sportifs » qui visent à les rendre plus
performantes. Quant aux journalistes économiques, bien qu’ils se réclament de
la plus grande indépendance et neutralité, ils contribuent « à la
diffusion d’une manière toute économique de voir le monde en apportant aux
classes dirigeantes les mots et les manières de penser les moyens de leur
domination ». Les propriétaires des journaux et de nombreuses chaînes de
télévision étant dorénavant des chefs d’entreprises
célèbres, cela rend caduque leur revendication d’autonomie.
Tous ces gens ont fréquenté les mêmes écoles, avec des variations dans
leurs parcours de formation, entretiennent un réseau de relations, se rencontrent dans les
mêmes clubs et associations. Tous partagent et contribuent à fabriquer cette croyance
quasi religieuse que l’économie dirige le monde, que c’est une « loi
naturelle », qu’elle a ses héros par exemple des chefs d’entreprises tout
autant « visionnaires » qu’ « aventuriers » qui veulent aller de
l’avant et ses vaincus, par exemple les syndicalistes qui freinent le progrès. Tous
sont persuadés qu’il faut mettre en place de nouvelles pratiques qui tournent autour
de deux mots-clés, « adaptation » et « modernisation ». Tous enfin
sont persuadés que l’ère de la lutte des classes est une époque
périmée. Leur discours sur l’économie, discours de
« dominants », qui s’est imposé sur les autres façons de penser le
monde, qui s’est légitimé comme répondant au principe de
réalité, a fini par être intériorisé par grand nombre de
« dominés », d’autant plus facilement que ceux-ci, soumis aux contraintes
de la précarité, ont adopté des postures individualistes... même si, et
c’est la conclusion de ce livre, « des mobilisations collectives puissantes viennent
parfois en freiner l’extension ».
Le 17 décembre 2008
Nadine Floury
URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/en_question/2008-12-22-Les_agents_de_l_economie.html