« À toute chose malheur est bon » dit un vieux dicton
populaire. « Les vertus de la crise » titre Le Monde le 20 novembre
2008 pour qui « la crise devrait permettre aux musées d'acquérir de
nouvelles oeuvres et assainir un secteur objet de spéculations ». Il est vrai que
le quotidien prétend moraliser et réguler la spéculation (Lire à ce
sujet l’article paru sur le site d’Acrimed : http://www.acrimed.org/article2987.html). Le
Monde se penche donc sur le « marché de l’art » à Manhattan et
nous explique comment l’inflation du prix des œuvres était due à la
spéculation « des " collectionneurs professionnels ", qui avaient pris l'habitude
d'acheter ici une oeuvre pour la revendre là presque aussitôt, avec des plus-values
hallucinantes ».
Cela n’empêche pas Le Monde, dans l’article suivant, de laisser entendre
que les liens entre la culture, l’économie et les médias ne seraient que
« des noces forcées », comme il est dit dans le titre, une
réponse à la crise en quelque sorte. Il est vrai que le quotidien dit de
référence n’en est plus à une incohérence près ! Il se
fait donc l’écho du récent forum d’Avignon et de l’objectif de
Renaud Donnedieu de Vabres qui en a pris l’initiative afin de faire se rencontrer la culture,
l’économie et les médias « trois mondes qui le plus souvent
s’ignorent ». La formule prête à sourire : Quoi,
l’économie ignorerait les médias ? L’économie ignorerait la
culture ? Alors que l’article nous apprend que « La culture a son " Davos " : le
Forum d'Avignon » et qu’au cours de ce forum on a pu entendre, entre autres, des
représentants de Google et de Lagardère, Philippe Vaysettes, de la banque Neuflize
OBC, Patricia Barbizet, directrice d’Artémis, la fondation de François Pinault
et que Vivendi est intervenu comme partenaire officiel de la manifestation… il est vrai que
c’était en tant que « mécène vertueux »
(décidément Le Monde aime évoquer la vertu même entre
guillemets) et en tant que « préfiguration plus parlante de la nouvelle
économie de la culture ».
L’article du Monde aurait pu nous éclairer sur les diverses activités des
groupes Lagardère, Pinault et Vivendi, qui loin d’être de simples «
préfigurations » sont depuis belle lurette des réalités
économiques, nous rappeler, par exemple, que Lagardère c’est (ou
c’était) à la fois l’aéronautique, Europe 1 et Paris
Match ; Vivendi c’est SFR, la distribution de l’eau et canal + ; Pinault
c’est le Printemps, la Redoute, le Point et la maison Christies à Londres
spécialisée dans la vente aux enchères : François Pinault est
réputé pour être un grand collectionneur d’art moderne et contemporain
!
Si l’on suit la logique du Monde il y aurait donc des méchants collectionneurs pour
qui l’art n’est qu’objet de spéculation et de gentils
mécènes qui collectionnent pour l’amour de l’art.
Pour ceux qui refusent ce schéma simpliste et qui rêvent d’œuvres
d’art accessibles à tous, objets de plaisir et non de profits, pour tous ceux qui
rêvent d’un peu de fraîcheur dans ce monde cynique, un conseil : Allez
voir Séraphine ! : Le film de Martin Provost dans lequel Yolande Moreau
interprète une poignante Séraphine et l’exposition de quelques unes de ses
oeuvres au musée Maillol (61, rue de Grenelle, Paris VII), jusqu’au 5 janvier 2009.
Mais qui était donc Séraphine, de son vrai nom Séraphine Louis ? Une simple
servante de Senlis (ce qui lui vaudra d’être dénommée Séraphine de
Senlis) mais qui s’émerveille devant le spectacle de la nature et des vitraux de sa
cathédrale, et qui, en fabriquant elle-même ses couleurs, a peint des profusions de
fleurs et de feuillages. La chance a fait qu’elle devienne la femme de ménage de
Wilhem Uhde, un collectionneur allemand, passionné par ceux qu’on appelle les peintres
« primitifs » (c’est un des premiers à découvrir le talent du
douanier Rousseau). Grâce à lui Séraphine échappe un temps à son
monde…Mais c’est la crise ! La fameuse crise de 1929 qui, partie des Etats-Unis,
touche la France quelques années plus tard. Les toiles de Séraphine ne se vendent
plus, elle ne peut plus laisser libre cours à sa joie d’acheter ces beaux objets qui
lui ont fait si longtemps défaut. Elle finit ses jours internée dans un hospice aux
grands murs vides et froids. On ne peut s’empêcher de se dire que,
décidément, les crises ne donnent jamais de chances aux petites gens…
Le 26 novembre 2008
Nadine Floury
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